1 octobre 2007 1 01 /10 /octobre /2007 16:57


Enquête sur la disparition de Pierre-Epaminondas Boncam.


Voir début du récit

     Aristide Sauveterre déchiffrait une carte au trésor de l'île de Miskitos Alba que  beaucoup auraient convoité s'ils en avaient connu l'existence. Depuis des années, des étudiants de l'Université des chasseurs de trésor (Treasure hunters University) harcelaient le collectionneur pour qu'il leur confie une carte. Un soit-disant envoyé de Frank Goddio, le célèbre découvreur du trésor sous-marin d'Alexandrie, lui écrivait tous les ans; un archiviste espagnol, affirmant avoir déchiffré le « cryptogramme du forban » le suppliait de le recevoir. Aristide se refusait à tout contact.


cases-sur-Miskita-Alba.jpgDétail de la carte au trésor de Miskitos Alba


  Un crissement de pneu lui fit lever la tête. De la fenêtre de la bibliothèque, Aristide vit une voiture bleue; elle s'arrêta un peu trop près de caisses arrivées d'Ouzbekistan le matin même. Il reconnu les deux hommes qui avançaient lentement vers la maison, examinant les étiquettes des colis empilés dans la cour. Ces gendarmes étaient déjà venu deux fois à la suite du cambriolage de son cabinet de curiosités. Aristide cacha rapidement la carte qu'il consultait et descendit accueillir ses visiteurs.


D'une politesse mécanique, les gendarmes saluèrent le collectionneur.

- Pas de cambriolage depuis la dernière fois, Monsieur Sauveterre ?
- Non heureusement, tout va bien merci.
- Bien, bien. Comme nous vous l'avons dit au téléphone, nous enquêtons sur la disparition présumée du Professeur Pierre-Epaminondas Boncam.

- Disparition! Je vous le répète, il est parti en voyage, en expédition plus précisément, sur Pallas 21.

- Pallas 21, oui.
- Vous n'y croyiez pas?

- A priori nous n'écartons aucune hypothèse. Bien, bien, nous aimerions voir la carte dont vous parliez, celle dont s'est servi le Professeur pour trouver sa fameuse planète.
- Le portulan de Cordoue! Le Professeur Epaminondas l'a emporté avec lui. D'ailleurs je ne garde pas ces documents ici. Je sais qu'ils attirent les voleurs; les cartes sont à l'abri.

- Vous semblez tenir beaucoup à vos cartes. Pourquoi en avoir donné une au Professeur?

- Epaminondas est un ami et ce que nous avons déchiffré est si excitant! Pallas 21 pourrait nous apprendre beaucoup de choses sur le système solaire, la formation des planètes sans parler de l'étude d'une civilisation très ancienne et très évoluée.

- Une civilisation extra-terrestre!

- Je n'aime pas trop cette expression qui renvoie à la littérature plus qu'à la science. Mais oui, c'est bien de ça qu'il s'agit, une civilisation extra-terrestre.

- Bien sûr.

- Ne vous moquez pas, nous sommes des scientifiques; les découvertes d'Epaminondas sont indiscutables. Ce qu'il a trouvé sur Pallas 21 dépasse de beaucoup tout ce que nous pouvions imaginer.

- Vous pouvez nous montrer quelque chose?

- Tout à fait. J'ai des photos et des video. Restez là, je vais vous les chercher.

     Pendant que le collectionneur remontait à la bibliothèque, les gendarmes examinaient l'extraordinaire bric-à-brac qui recouvrait les meubles, les étagères et les murs du salon.
- Une guillotine miniature! Et ça! C'est des allumettes non? dit le plus jeune en secouant une boîte grise couverte de poussière.


Curiosit--s-guillotine.jpgcabinet de curiosités: guillotine


- On dirait oui. D'avant guerre.
- Et ce vieux bouquin: Catalogue des choses rares qui sont dans le cabinet de Maistre Pierre Borel Medecin de Castres en haut- ....

- N'y touchez pas, c'est très très fragile, s'exclama Sauveterre qui revenait. Tout est très fragile ici. Posez le doucement. L'acide de vos doigt peut attaquer le papier de ce livre unique! Ce serait un désastre.

- Désolé.

- Merci. Contentez vous de regarder ces photos que le Professeur m'a laissées: elles montrent trois objets identiques découverts dans la nécropole royale de Tilmiksa-ah sur Pallas 21. Le Professeur ne les a pas exposés en 2005 avec ses autres piéces archéologiques car elles sont très difficiles à interpréter.


objets trouvés sur Pallas 21


      Nous avions trois petits objets verts de matière inconnue; chacun mesure 17 centimètres sur cinq. On distingue un réceptacle rond percé de trous irréguliers et une hampe crènelée.Quand le Professeur Boncam a sorti ces objets de leur gangue de terre, ils contenaient encore des fragments de plusieurs végétaux ce qui accrédite un usage lié aux récoltes. Les analyses sont en cours. Nous avons retenu trois hypothèses de travail:


offrandes-automne--1057.jpg 1- Une balance de cérémonie de la guilde des marchands

  
   Ce que vous voyez ici est une reconstitution très grossière de l'usage qui pouvait être fait de ces objets rituels. Les fruits et les feuillages de l'automne sont une interprétation. Il est probable que les végétaux sur Pallas sont complètement différents. Nous nous trompons peut-être complètement mais nous avons consulté une amie ethnologue, Alix de la Liquière-Engueyrade. Elle trouve ces interprétations tout à fait plausibles et assez proches des autels qu'elle a vus en Océanie à Nova-Esperanza.


offrandes-collier.jpg 2- Un collier princier porté lors des rites de fertilité

     Les gendarmes examinèrent les photos attentivement sans dire un mot. Comprenant leur scepticisme, le collectionneur reprit les photos sans chercher à leur expliquer plus avant. Certes ces enquêteurs recherchaient la vérité comme les ethnologues et les archéologues, ils savaient déchiffrer les signes et élucider les mystères mais leur approche était radicalement différente. Autant Pierre-Epaminondas s'émerveillait à la vue de la balance cérémonielle tournant doucement dans le vent, autant les gendarmes, ne voyant que des branchages et des raisins bien terrestres, soupçonnaient une falsification.


3- Des coupelles d'offrandes célébrant les saisons


- Il reste tant de mystères à élucider sur Pallas 21, reprit Aristide Sauveterre. Ne perdez pas votre temps à chercher Epaminondas sur terre, quoi qu'en dise sa cousine Apollonie, je sais qu'il est reparti dans l'espace. Il reviendra dans un an ou deux chargé d'un trésor archéologique digne de Schliemann. La cité de Tilmiksa-ah sera aussi célèbre que Troie et ceux qui se moquent du Professeur Boncam aujourd'hui le porteront aux nues demain !
- Nous comprenons votre enthousiasme, Monsieur Sauveterre, mais il y a un mystère à élucider ici-même: la disparition, ou si vous préférez, l'absence du Professeur.
- Je m'étonne que vous consacriez tant de temps à rechercher un adulte qui a annoncé son intention de partir depuis des mois!
- Nous avons l'ordre de prendre cette histoire très au sérieux. Apparemment, des gens haut-placés se posent des questions à propos du Professeur.
- Vous m'étonnez Messieurs, je vois mal les Renseignements Généraux s'intéresser à un vieil archéologue.
- Nous n'avons rien dit de tel. Revenons au Professeur. Voici une photocopie de son l'agenda. Reconnaissez vous  son écriture?
- Tout à fait, sans aucun doute.
- Les lettres sont peut-être trop bien formées?
- Il est très fier de son écriture, il se sert encore d'un porte-plume et d'un encrier.
- Que pensez vous de la dernière phrase qu'il a notée:

"Jamais, Jamais, non JAMAIS, vous aurez beau faire, jamais ne saurez quelle misérable banlieue c'était que la Terre."
- Ca vous dit quelque chose?
- Bien sûr, c'est une citation de son poète favori.
-Une phrase assez dépressive, non? Aurait-il pu se suicider?
- Non, pas Epaminondas. Cette phrase parle de son désir de quitter ce monde rétréci, de laisser la Terre derrière lui, d'explorer les planètes et les galaxies, pas de mourir.
- Sans doute. Revenons sur terre pour une dernière question. Saviez vous que le Professeur devait rencontrer un fabriquant de lombricompostage le 10 septembre et qu'il ne s'est pas présenté?

- Epaminondas a de nombreuses activités que j'ignore. Rien ne me surprend de lui.
- Quelle genre d'activités?
- Mais je ne sais pas, les lombrics par exemple.
- Et vous Monsieur Sauveterre, vous semblez voyager beaucoup?

- Je suis un collectionneur. Dernièrement une armada de petits canards jaunes en plastique m'a attiré en Angleterre. En vain d'ailleurs, je n'ai rien trouvé.
- M. Pim van Leyden vous a-t-il contacté?
- L'acheteur de la Bentley? Ah quelle magnifique voiture!
-Vous étiez au courant de cette vente et vous n'avez rien dit.
- Un, personne ne me l'a demandé et deux, je n'ai pas vu M. Pim van Leyden. Pourquoi m'aurait-il contacté?
- On dit qu'il cherche le trésor de Pomarédes, caché dans les bois de Caussiniojouls. Il aurait pu vous acheter la carte du trésor.
- Ah le fameux bandit des grands chemins, la canaille de Caux! Cette région du Languedoc était peu sûre à l'époque. Pomarédes a amassé une grande fortune dit-on, de l'argent, de l'argenterie et des bijoux. Il a sévi dix ans et commis plusieurs meurtres avant que vos collègues ne l'attrapent. Il a été guillotiné en 1843. Quant à la carte du trésor de Caussiniojouls, s'il existe, la légende n'en parle pas et je crains que le Hollandais ne perde son temps ici.
- Les gens du village l'ont vu avec un détecteur de métaux.
- On verra bien. Avec de la chance, il trouvera des monnaies romaines! Sinon il ramassera des boîtes de sardines rouillées.

-  Vous semblez avoir des trésors plus intéressants dans ces caisses, dans votre cour.
-  Des fossiles d'Ouzbekistan. C'est écrit dessus.
-  Nous ne lisons pas le chinois.

-  Les papiers de douane sont en règle. Messieurs, si vous n'avez rien d'autre à me demander .....
-  Merci pour votre collaboration Monsieur Sauveterre. Si vous recevez des nouvelles du Professeur, prévenez nous.
- Je n'y manquerai pas. Ah, j'y pense: vous devriez interroger le jeune documentariste qui le suivait partout avant son départ.
- Oui, Bénédicte Ravenol, nous sommes au courant. Merci. En attendant l'enquête n'est pas close, Monsieur Sauveterre. Nous nous reverrons.
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    Aristide Sauveterre chassa les gendarmes de son esprit. Quelle perte de temps! Il déplia la belle carte de Miskitos Alba sur son bureau et, pour la dixième fois, essaya de comprendre le texte sybillin tracé sous le monstre marin dessiné à la pointe de l'île.


monstre marin sur une carte ancienne


    Il songea à Epaminondas qui avait voulu l'enrôler dans son équipe d'exploration spatiale. Les nouvelles techniques de détection, disait-il, permettaient de sonder les mers et les terres avec une terrible précision. Aristide pensait: « où est le mystère, la poésie? Pourquoi confronter le rêve au réel? ». Il avait invoqué sa mauvaise santé pour ne pas participer à une aventure aussi risquée. Epaminondas avait besoin de découvrir des cités enfouies, des civilisations disparues. Lui, bien qu'il se passionne pour les découvertes de son ami et voyage encore pour son cabinet de curiosités, il préferait maintenant le voyage immobile que lui procurait ses cartes. Confortablement installé dans sa bibliothèque, il imaginait les déserts calcinés et les plaines verdoyantes, les océans déchainés et les lacs d'émeraude, les forêts impénétrables et les grottes secrètes. Il n'avait nul besoin d'affronter les dangers de terres inconnues ni de rechercher des trésors enfouis. Ses cartes aux trésors devaient rester secrètes, inutilisées. S'en servir leur ôterait toute valeur. Il regarda la canette d'air de Paris qui lui servait de presse-papier. S'il l'ouvrait, que lui resterait-il?

Rien.


 Début des aventures du Professeur Pierre-Epaminondas Boncam:

Textes et photos: Catherine-Alice Palagret
octobre 2007
  


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