29 novembre 2007
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La lente dégradation des Totems
Dix-huit ans après avoir échappé au brasier, deux totems de Claude-Henri Bartoli veillent sur les hauts de la vallée de l'Orb. Les collectionneurs Jane et Sylvestre de Pailhac les ont acquis lors de la vente aux enchères du Vèbre en 1989. L'artiste avait annoncé qu'il brûlerait les totems qui ne trouveraient pas acquéreur et il le fit. Comme un écho aux rites tribaux d'océanie ou à la célébration des déesses hindouistes Durga et Saraswati.
deux totems de Claude-Henri Bartoli en 1989
Depuis, chaque année, le 21 Octobre, Jane et Sylvestre de Pailhac organisent une célébration de l'automne avec un petit groupe d'amis.Tous ensemble ils promènent les totems dans la propriété d'Aristide Sauveterre et choisissent un lieu d'exposition différent de l'année précédente.
Totem de Claude-Henri Bartoli en deux morceaux en 2007
Ce rite païen, que ne soutient aucune croyance animiste ou autre, n'a d'autre justification que de célèbrer le changement de saison. L'air frais de l'automne pique un peu tandis que la brume se dissipe; les feuilles tombées pourrissent sur le sol à côté des raisins ratatinés. Les bogues des chataîniers éclatent, laissant voir de beaux marrons brillants.
Tête de totem de Claude-Henri Bartoli, reste de chevelure en 2007
Il s'agit aussi d'observer l'action du temps sur les Totems. Jour après jour, les totems se dégradent sous l'action de la pluie et du soleil. Le noir brillant d''origine se craquelle et laisse voir le contreplaqué déformé. Le plâtre s'effrite et de nombreux morceaux sont tombés. Les fibres synthétiques sont presque imputrescibles et le fer mis à nu rouille lentement. Chaque promenade abîme l'oeuvre, les pièces se disloquent et se cassent; les Totems ne sont plus toujours présentés dans leur configuration d'origine. Cette lente destruction est une création: de nouvelles formes et textures surviennent. Claude-Henri Bartoli ne les avait pas prévu bien qu'il ait volontairement choisi des matériaux pauvres, donc instables, en accord avec les arts magiques des peuplades dites primitives.
Au lieu de rester bien à l'abri avec le reste de leur collection, Les Pailhac ont choisi d'exposer les Totems à l'air libre et d'étudier leur effacement progressif. Il y a là une fascination romantique pour la fragilité des choses totalement assumée. Et aussi un rappel des traditions des sociètés traditionnelles. En Afrique, les masques rituels sont abandonnés quand ils ne servent plus. A Nova-Esperanza en Océanie, les statuettes peu appréciées étaient brûlées.
Effigie éphémère de la déesse Saraswati et de son cygne, Varanasi (Bénares)
Dans l'Inde d'aujourd'hui, de nombreuses statues de dieux et de déesses (Ganesh, Durga, Saraswati) sont confectionnées avec de la paille et de l'argile. Peintes, parées d'étoffe brillante et de collier de fleurs oranges, les idoles sont exposées sur des autels puis promenées dans les rues. La fête culmine par leur immersion dans la mer ou dans le Gange. Ces statues, avant tout religieuses sont des oeuvres d'art éphémères. Révèrées la veille, elles ne sont plus, le lendemain, que des débris flottant sur l'eau au milieu des ordures.
Débris de l'effigie de la déesse Saraswati à Varanasi (Bénares)
En Inde, les effigies des processions participent au cycle de la mort et de la renaissance. L'année suivante, les hindouistes fabriquent de nouveaux dieux ou déesses et les immergent joyeusement dans l'eau quand la fête est finie.
En Espagne au mois de mars, ont lieu les Fallas de Valencia. D'immenses pantins de carton-pâte peints de couleurs vives représentent des personnalités d'une manière souvent satirique ou osée. Les figures sont installées au coin des rues pendant quatre jours puis ces oeuvres éphémères sont brulées pour la plus grande joie du public. C'est un adieu à l'hiver.
Jadis à la fin du carnaval, on brûlait le bonhomme Hiver. A Nice on brûle Sa Majesté Carnaval.
Au contraire, lors des processions catholiques, la statue d'un Saint ou d'une Sainte est promenée dans les rues de la ville puis retrouve sa place dans l'église, bien à l'abri. Plus la statue est ancienne plus elle est adulée. L'année suivante, la même statue recommence ses rogations.
En Espagne au mois de mars, ont lieu les Fallas de Valencia. D'immenses pantins de carton-pâte peints de couleurs vives représentent des personnalités d'une manière souvent satirique ou osée. Les figures sont installées au coin des rues pendant quatre jours puis ces oeuvres éphémères sont brulées pour la plus grande joie du public. C'est un adieu à l'hiver.
Jadis à la fin du carnaval, on brûlait le bonhomme Hiver. A Nice on brûle Sa Majesté Carnaval.
Au contraire, lors des processions catholiques, la statue d'un Saint ou d'une Sainte est promenée dans les rues de la ville puis retrouve sa place dans l'église, bien à l'abri. Plus la statue est ancienne plus elle est adulée. L'année suivante, la même statue recommence ses rogations.
Totem de Claude-Henri Bartoli en 2007, autre configuration
Les Pailhac se démarquent de la théorie dominante de la conservation et de la restauration des oeuvres d'art. Entre éphémère et permanence, à travers les saisons, ils ont voulu tenter une nouvelle expérience: laisser vivre les Totems et observer leur métamorphose jusqu'à leur anéantissement. Ne pas s'opposer au temps dans une tentative de toute façon désespérée.
L'artiste pourrait-il s'en offusquer ou trouverait-il l'idée intéressante? Daniel Buren s'est récemment mis en colère en constatant la dégradation de son oeuvre "les deux plateaux" au Palais Royal. Jean-Pierre Raynaud a laissé détruire son cube de carreaux blancs. Deux plasticiens vedettes de l'art contemporain, deux attitudes différentes.
contreplaqué délité au dos d'un totem délité de Claude-Henri Bartoli
Combien de temps faudra-t-il aux totems pour qu'ils se délitent complètement? Sans doute plus de temps qu'il n'en reste aux participants de cette cérémonie païenne dont les rangs s'éclaircissent.
Catherine-Alice Palagret
art et conservation
novembre 2007