Même si la fin du monde n'aura pas lieu le 21 décembre 2012, l'eschatologie est dans l'air du temps. La publicité, les plasticiens et les street-artists s'en emparent. A la galerie Kamel Mennour, Huang Yong Ping expose Bugarach une installation avec un gros faux rocher, un hélicoptère miniature et des animaux empaillés décapités.
Les têtes coupées. Bugarach, Huang Yong Ping, galerie Kamel Mennour
Dans la première salle presque vide, une sirène d'alerte au plafond reste silencieuse. Un serpent en descend, rappel de la tentation d'Eve. Au sol, une chèvre blanche. Dans le fond on aperçoit la montagne de Bugarach en miniature.
Sirène, serpent et montagne. Bugarach, Huang Yong Ping, galerie Kamel Mennour
A gauche, une pièce avec seize animaux, tous décapités et principalement blancs. Le blanc est la couleur de l'innocence mais aussi de l'endoctrinement. De nombreux adeptes des sectes s'habillent de blanc. Le pelage du tigre et du faon ajoutent un peu de couleur à ce groupe condamné, innocent ou non.
Animaux blancs, rayés, tachetés. Bugarach, Huang Yong Ping, galerie Kamel Mennour
Un carton rouge simule le cou sanglant des animaux. Les victimes semblent aller dans tous les sens comme des poulets qui continuent à courir alors qu'on leur a tranché la tête.
Montagne, soucoupe volante et trophées. Bugarach, Huang Yong Ping, galerie Kamel Mennour
La troisième pièce contient un énorme faux rocher de neuf mètres de long représentant la montagne de Bugarach. Une soucoupe blanche semble en émerger ou y pénétrer. Les têtes des animaux sacrifiés sont posées dessus. Elles regardent vers le ciel, vers un hélicoptère, plus petit qu'eux. Il n'est pas là pour sauver les sacrifiés, trop tard, mais pour rendre compte du drame ou rassurer les survivants.
Un deuxième sol a été coulé dans la galerie pour pouvoir casser le béton et donner l'illusion du surgissement de la pointe du massif. Bugarach, l'installation de Huang Yong Ping met en scène nature et artifice, mouvement et stabilité, espoir et désespoir.
Animaux décapités. Bugarach, Huang Yong Ping, galerie Kamel Mennour
Comme avec son Tatou ou Arche 2009, Huang Yong Ping aime bien découper les animaux en tranche, les brûler, les martyriser ... métaphoriquement.
Bugarach n'est pas une installation in situ, elle peut être démontée et remontée ailleurs. L'oeuvre monumentale sera différente mais le concept reste le même. Actuellement Arche 2009 est exposée à Lille pour Fantastic 2012.
Communiqué de presse, Huang Yong Ping, Bugarach
Bugarach est le nom d'un village des Pyrénées françaises et du pic montagneux qui le surplombe, nommé «la montagne renversée», en raison de sa particularité géologique qui en fait une curiosité naturelle: ses couches inférieures sont plus récentes que ses couches supérieures. Hameau d'à peine 200 habitants, Bugarach est depuis les années 1970 un lieu de pèlerinage pour de nombreux adeptes d'ésotérisme New Age. Ce site est récemment devenu une destination très prisée en raison de la croyance selon laquelle le pic serait le seul lieu épargné lors de la «fin du monde» qui, selon certaines lectures du calendrier Maya, devrait advenir le 21 décembre 2012.
Montagne et hélicoptère. Bugarach, Huang Yong Ping, galerie Kamel Mennour
Cette prophétie de l'apocalypse, ou plutôt les nombreuses théories de «grande transformation» ou de fin de cycle, avancées par les théoriciens ésotériques ou de fringe science («science marginale») est largement réfutée par les mayanistes. Elle se concrétise pourtant par l'afflux régulier de nouveaux habitants, pèlerins ou simples curieux venus du monde entier. Le pech de Bugarach est ainsi affublé de divers pouvoirs extraordinaires. Notamment considéré comme un haut lieu de présence extra-terrestre, il posséderait une cavité centrale, refuge des ovnis ou bien matrice d'un champ électromagnétique surnaturel qui empêcherait les avions de le survoler. Les différentes pratiques mystiques constatées récemment à Bugarach laissent entrevoir des syncrétismes de sagesses et de rituels orientaux, précolombiens ou amérindiens mâtinés de théories du complot. Les médias internationaux se pressent aujourd'hui à Bugarach en quête d'images folkloriques, et se font bruyamment l'écho de menaces de dérives sectaires, quitte à les alimenter en retour.
Rat sans tête au pied de la montagne. Bugarach, Huang Yong Ping, galerie Kamel Mennour
Dans notre société globalisée où la perte du sentiment religieux est contemporaine de l'essor de nouveaux extrémismes, la résurgence de ces spiritualités New Age à l'approche d'un cataclysme fantasmé n'est pas anodine. Il n'est pas étonnant que Huang Yong Ping s'empare de ce phénomène, lui qui depuis plusieurs années pointe avec justesse, dans ses installations monumentales, le rôle ambivalent de toute religion (Les Mains de Bouddha, 2006; Construction Site, 2007; Caverne 2009, 2009). La présente exposition est conçue en écho à une autre installation, Cirque, présentée simultanément à la galerie Barbara Gladstone à New York. Reliées dans le temps, elles sont également proches par leur thème: la fin des temps, ou plus précisément le temps de la fin.
Animaux et montagne. Bugarach, Huang Yong Ping, galerie Kamel Mennour
L'ensemble de l'exposition esquisse une scène de chaos, où sont constamment déjoués les repères d'échelle, et où sont bouleversés les rapports de forces entre le naturel et l'artificiel, le sauvage et le social. Ici ce n'est pas la montagne qui est renversée, mais bien plutôt le socle sur lequel reposent, impuissantes, les créatures terrestres. Cette «soucoupe volante» prise au piège, figée dans son instabilité, nous invite à percevoir cette scène comme l'apogée du drame, l'instant paroxystique du basculement.
De manière récurrente dans l'œuvre de Huang Yong Ping, les animaux jouent un rôle métaphorique pour les comportements humains. Ici les animaux sans tête ont sans doute le même rôle que les insectes vivants de Théâtre du monde (1993), à savoir de jouer le dernier acte d'une comédie de la cruauté dont nous sommes à la fois les sujets et les spectateurs.
Dans Arche 2009 (2009), les animaux taxidermisés se trouvaient au cœur d'un dispositif où la notion de protection est seulement illusoire, comme l'explique l'artiste dans le catalogue édité à cette occasion: «dès que survient une crise, nous avons toujours l'illusion qu'il existe une «arche» c'est-à-dire un lieu de refuge intact, alors même que le danger vient précisément du cœur de la société, de sa part irréductible de chaos. Ainsi Huang Yong Ping, lors de ses recherches pour la présente exposition, notait-il logiquement: «Bug-arach / Bug-arche».
Cigogne, loup et chevreau. Bugarach, Huang Yong Ping, galerie Kamel Mennour
Si les théories de «la fin des temps» et la croyance en un refuge à Bugarach peuvent sembler anecdotiques ou risibles, Huang Yong Ping nous rappelle ici que la réalité n'est pourtant pas stable. En érigeant ce fait d'actualité au rang de monument, il réduit les différences de temporalité inhérentes à l'événement politique et à l'œuvre d'art, et suggère ainsi que l'un et l'autre ne sont jamais très éloignés. En conférant une portée symbolique plus large à cette affaire, symptomatique d'une perte de sens généralisée, il semble nous indiquer que le monde tel que nous le connaissons est plus que jamais incertain, et que la déroute est bien réelle, tant au plan social qu'environnemental. Le mythe de la «fin du monde» résonne alors ici comme le symptôme, la partie émergée d'une entreprise destructrice dont on ne saurait déceler la cause ni le remède, du moins tant que resteront séparés le corps et la tête."
voir la video de Bugarach
Bugarach, Huang Yong Ping
Galerie Kamel Mennour - 47, rue Saint-André des Arts - 75006 Paris
Du 5 décembre 2012 au 26 janvier 2013
Circus, Huang Yong Ping
Gladstone Gallery 520 w 21st street. NY.
Jusqu'au 19 janvier
Huang Yong Ping
Lille3000 - Musée de l'Hospice Comtesse.
Huang Yong Ping
MAC - Musée d'art contemporain de Lyon
du 22 février au 14 avril 2013.
Photos Palagret
fin du monde
décembre 2012