Les villes sont pleines de statues à la gloire de vaillants militaires, de grands penseurs et de sublimes artistes. Mais où sont les femmes? Le plus souvent, elles n'existent que comme allégories, figures mythologiques ou nus décoratifs.
Cassandre se met sous la protection de Pallas, sculpture d'André Millet, 1877, Tuileries
Inspirée de l'antiquité, la statuaire classique représente la nudité féminine pour incarner des vertus ou des égéries. Penchées au-dessus d'hommes illustres ou levant un regard énamouré vers eux, les femmes célèbrent les poètes (Musset, Maupassant), les musiciens (Chopin) et les peintres (Delacroix). Les muses dévoilent souvent leurs seins dans un élan enthousiaste. Les statues des militaires ou des hommes politiques n'ont pas droit à une telle licence.
Monument à Eugène Delacroix, Jules Dalou, 1890, jardin du Luxembourg
Dans les sculptures d'inspiration plus prosaïque, la femme incarne l'épouse, la mère au foyer, l'éducatrice et la consolatrice. L'oeuvre d'Emile Boisseau, "la défense du foyer" nous montre un homme vigoureux protégeant sa famille dans une attitude très machiste. La femme est une pauvre petite chose apeurée, son nourrisson en travers des genoux. Agripée à l'homme, elle n'a pourtant pas l'air si sûre que ça de l'invincibilité de son héros. Ou alors elle a peur de l'homme qui la domine, un pervers narcissique, le seul à savoir ce qu'il faut faire, dire, croire.
"La défense du foyer", bronze d'Emile Boisseau, 1887, Invalides
Dans l'allégorie "Les joies de la famille", un homme et une femme jouent avec leur jeune enfant. Ici la domination de l'homme n'est pas exaltée mais plutôt l'idéal de la vie bucolique. Il s'agit juste du bonheur d'un couple heureux représenté en l'état de nature chanté par Jean-Jacques Rousseau.
Les joies de la famille, sculpture d'Horace Daillion, 1888, jardin du Luxembourg
La statuaire du XIXè siècle peut accorder un rôle d'éducatrice à la femme. La mère éduque ses enfants et principalement ses filles. Toutes ces statues présentent des femmes anonymes qui n'existent que par les vertus qu'elles incarnent. Il existe bien sûr des statues des déesses, de la Vierge Marie, de Jeanne d'Arc ou des reines mais bien peu de personnes engagées dans la vie civile.
L'éducation maternelle, groupe sculpté de Delaplanche, 1875, square Samuel Rousseau, Paris
En 1914 le groupe sculpté de Paul Moreau-Vauthier représente deux femmes réelles: Madame Marguerite Boucicaut et la baronne Clara de Hirsh qui se sont illustrées dans les oeuvres caritatives. Madame Boucicaut n'est pas louée pour sa contribution à la création du Bon Marché aux côtés de son mari mais pour son dévouement envers les pauvres et les orphelins. Une charité bien féminine.
Mme Boucicaut et la baronne Clara de Hirsh, groupe sculpté de Paul Moreau-Vauthier
square Boucicaut devant le Bon Marché, Paris
« En léguant tout ce qui reste de ma fortune à l’Administration la plus puissante pour assister les malheureux, mon unique pensée a été de venir aussi utilement que possible au secours des souffrants et des misérables »
Difficile de trouver une statue de femme qui ne soit ni une mère admirable, ni une femme au foyer, ni une épouse dévouée. Ah si! Il y a quand même quelques exemples politiquement incorrects à chercher dans la mythologie. Voici le plus atroce: Médée tuant ses enfants. On sait maintenant que les mères tueuses ne sont pas si rares mais pendant longtemps Médée a été une figure d'effroi absolu, la figure unique du meurtre maternel.
Médée tuant ses enfants de Paul Gasq, 1860, jardin des Tuileries
la lame du couteau sacrificiel a disparu
Liens sur ce blog:
Les statues des grands hommes dans l'espace public
Statues des hommes illustres, présence et absence
Palagret
statues de femmes dans l'espace public
mars 2013