Les plasticiens qui travaillent le néon et surtout ceux qui se servent de lettres aiment bien nous asséner des sentences déprimantes. Loin des installations poétiques de Dan Flavin, Cerith Wyn Evans le Gallois nous dit: "In girum imus nocte et consimimur igni", (Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes consumés par le feu!). Il s'amuse avec ce palindrome disposé en anneau sans fin mais la citation latine n'a rien de joyeux. Jouant avec des textes littéraires ou de simples mots, Il nous dit aussi "Nowhere", "In praise of shadow", "Once upon a time ... The End" ou "Eclipse".
"In girum imus nocte et consimimur igni", néon de Cerith Wyn Evans
En 1983, Bruce Nauman lui aussi dispose un néon en cercle. En lettres de couleur, il y égrène les temps forts de notre existence: “Life Death Love Hate Pleasure Pain” (Vie mort amour haine plaisir douleur). Nauman a réalisé plusieurs sculptures de néon sur le même thème.
Eclipse, néon noir de Cerith Wyn Evans
En 2011, l'écossais Douglas Gordon écrit: "Every time you switch me off, we die a little" (A chaque fois que vous m'éteignez nous mourrons un peu). En effet, allumer et éteindre un néon réduit sa durée de vie. Plus sérieusement, le temps est à l'oeuvre et nous mourrons peu à peu.
"Every time you switch me off, we die a little", néon de Douglas Gordon, 2011
Autre joyeuse déclaration testamentaire, le néon du mexicain Stefan Brüggemann: "This work should be turn off when I die" (cette oeuvre devra être éteinte à ma mort).
"This work should be turn off when I die", 2010, néon de Stefan Brüggemann
En 1985, Alfredo Jaar s'inspirant du roman de Gabriel Garcia Marquez, écrit: "Cien anos de soledad (No realmente)". "Pas vraiment" en lettres rouges remet ironiquement en doute la notion de solitude.
"Cien anos de soledad (no realmente)", néon blanc et rouge d'Alfredo Jaar
L'écossais Nathan Coley écrit sur un grand panneau "There will be no miracle here" non en lettres de néon mais en ampoules blanches vouées à disparaître, remplacées par les ampoules basse consommation et les leds. Le néon lui aussi, trop gourmand en énergie, disparaîtra. Que deviendront les sculptures de néon si on ne trouve plus de lampes?
Réponse avec une oeuvre du plasticien français Alberola: Rien. Un néon qui ressemble à un crâne. Vanité des vanités, tout est vanité. L'Ecclésiaste trouve un écho dans l'art contemporain.
Rien, néon de Jean-Michel Alberola 2011
Pour ne pas perdre tout espoir disons que l'espérance tient à un fil: "L'espérance à un fil" d'Alberola.
"L'espérance à un fil" d'Alberola, néon de 2007
En reflet, "tout sauf rouge" de Su-Mei Tse, 2009
Un plasticien doit être pessimiste pour être pris au sérieux. Il n'ose écrire "j'aime les jolies fleurs" ou des mots d'amour. Trop niais. L'anglaise Tracey Emin a produit de nombreuses oeuvres trash; elle peut se permettre des néons outrageusement sentimentaux: "Just love me", "You forgot to kiss my soul", "Kiss me - kiss me - cover my body in love", "It was just a kiss", etc ... En même temps,Tracey Emin produit des néons moins poétiques: "People like you like to fuck people like me".
"Just love me", néon rose de Tracey Emin, 1998
Liens sur ce blog:
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1- Néon et art contemporain, lumière vibrante: écritures
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Palagret
néon et art contemporain
janvier 2014
Mots clés: néon, neon sculpture, mort, pessimisme