Tout film est une manipulation du temps, une illusion temporelle, racontant une histoire en comprimant la durée ou en la dilatant. Les montres et les horloges aident à créer une fausse durée, rythmant le récit. Avant l'action, les héros et les voyous synchronisent leurs montres; pendant l'action, ils la consultent nerveusement. Les amoureux et les espions surveillent l'horloge attendant le moment fatidique du rendez-vous. Tic-tac, tic-tac, le bruit obsédant des rouages ajoute à la tension du récit. Les spectateurs pris par le suspens en oublient le temps réel, dehors, hors du cinéma.
Peter Parker alias Spiderman est renvoyé de son travail à 2h 18
The clock, Christian Marclay
Dans "The clock", Christian Marclay à son tour manipule le temps, le temps de la fiction et le temps réel du spectateur. Dans un magnifique collage vidéo d'environ 3000 fragments cinématographiques ou télévisuels, il reconstitue 24 heures. L'heure du film correspond à l'heure réelle, synchronisée sur le fuseau horaire du lieu de projection. L'écran affiche midi et il est bien midi dans la salle.
Horloge
The clock, Christian Marclay
Six assistants ont repéré les innombrables scènes cinématographiques montrant une montre, une horloge, un réveil ou des personnages demandant l'heure ou attendant. Il y a des extraits de films majoritairement anglais et américains mais aussi français, italiens, suédois et japonais. En noir et blanc et en couleurs. Les personnages s'agitent, s'inquiètent, rient, meurent. Dans un flux hypnotique, rien n'est achevé, rien n'est résolu; seul le temps s'égrene inexorablement, sur des montres à gousset ou des horloges digitales. Les acteurs disparus dialoguent avec les acteurs vivants et ce tourbillons d'images nous parlent aussi de la mort.
Il est déjà trop tard
The clock, Christian Marclay
Les acteurs de tout temps se mélangent. Spiderman se fait renvoyer de son travail de coursier, Laurel et Hardy sont au poste de police, Robin Williams développe des films, Robert Redford prépare son arnaque, Leonard Nimroy affole les montres. Robert de Niro pique une crise de nerfs quand son steak n'est pas prêt à temps et Woody Allen a rendez-vous avec une beauté sculpturale qui le terrorise. Thriller et romance, tragédie et comédie se succèdent en un gigantesque collage hommage au cinéma, des débuts du muet aux films d'aujourd'hui, sans ordre chronologique sinon l'ordre des heures. Les cadrans racontent tous des histoires de crime et d'amour, d'attente et de rendez-vous manqué. Parfois la montre incarne la transmission des valeurs entre un père et son fils, l'entrée dans l'âge adulte d'une jeune fille. Scarlett O'Hara donne la montre de son père à un "fidèle esclave noir". Quand les aiguillent se figent, elles indiquent l'heure du crime.
15h 54, l'heure du crime
The clock, Christian Marclay
Christian Marclay a effectué le montage lui même, se servant des musiques et des ambiances pour lier les scènes. Des bruits de pas, le balancement d'une horloge, la sonnerie d'un réveil, le départ d'un train, annoncent la séquence suivante. Parfois un dialogue se termine sur le fragment suivant, donnant une continuité à un ensemble hétéroclite. Les extraits se répondent et se mêlent; une même séquence peut être morcelée en plusieurs morceaux, coupée par d'autres scènes similaires. Plutôt lent le matin, le montage s'accèlère en approchant de minuit. Cette réflexion sur le temps, le montage et le cinéma est fascinante.
Johnny Hooker (Robert Redford) surveille l'heure avant sa grande arnaque
The clock de Christian Marclay
Il est impossible de reconnaître tous les extraits mais c'est certainement un des attraits de The Clock de faire appel à notre culture cinématographique. Dans la salle, les spectateurs se murmurent le nom des acteurs et des films quand ils les reconnaissent. Il y a des films célèbres et des films obscurs. Des acteurs connus dans leur premiers rôles et des acteurs depuis longtemps oubliés. Captivés, les spectateurs restent là longtemps. Seule la faim ou la fatigue les délogent des canapés blancs disposés devant l'écran. Dès qu'une place se libère, des spectateurs assis par terre se précipitent.
Une heure de queue à Beaubourg
pour voir The clock de Christian Marclay
Il est impossible de voir la vidéo de 24 heures en entier et il est dangereux de sortir pour prendre un café, il faudra refaire une heure de queue. Comme tous les évènements à Beaubourg (Gondry, JR, etc...), il y a beaucoup de monde.
Partout où "The Clock" a été projeté (White Cube de Londres en 2010, galerie Paula Cooper à New York, Garage à Moscou, 'British Art Show' de Nottingham, Hayward Gallery de Londres), l'oeuvre a attiré la foule trouvant là un art contemporain séduisant.
Après Beaubourg, The clock poursuit sa tournée mondiale à la Yokohama Triennale 2011 jusqu'au 6 novembre 2011.
En juin 2011, Christian Marclay a reçu le Lion d’or du meilleur artiste de la 54è Biennale de Venise.
Quelques fragments de la vidéo The clock filmés à Beaubourg ici
Sculpteur, musicien, performeur, photographe, vidéaste, Christian Marclay, né aux États-Unis en 1955, développe depuis trente ans une œuvre polymorphe. De la même manière qu'il extrait des samples des disques vinyles pour inventer d'autres compositions musicales, il développe cette pratique de l'emprunt, de la citation dans ses œuvres vidéos. 1
The clock est projeté du 3 septembre 11h au lundi 5 septembre 11h.
De 21h à 11h du matin l'entrée se fait porte St Merri alors que le musée a fermé ses portes.
Galerie Sud, entrée libre
Beaubourg Paris
Liens sur ce blog:
Michel Gondry, Usine de Films Amateurs: décors extérieur nuit, intérieur jour
JR, un photomaton géant à Beaubourg: faites vous tirer le portrait
Douglas Gordon et les baisers de Star Trek, Predictable incident in unfamiliar surroundings, video
Palagret
art contemporain
septembre 2011
1- in dossier de presse