25 janvier 2009
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Pendant les guerres, les statues en bronze sont en sursis car leur métaux, alliage d'étain et de cuivre, servent pour l'industrie et l'armement. On enlève les statues pour les fondre et leur socle de pierre reste vide. Ainsi Charles Fourier, comme tant d'autres, a disparu de la place de Clichy pendant la guerre de 39-40 et ne reviendra jamais car depuis une pomme de Franck Scurti trône sur son socle.
socle vide de la statue de Charles Fourier, Paris
Pendant la seconde guerre mondiale, les métaux non ferreux sont rares. En juillet 1941, une campagne de récupération d'objets usuels tels que bouton de porte, chaudron, applique, bougeoir, cadre de bicyclette etc ... est lancée. L'Etat paie le plomb six francs le kilo et 30 francs pour le cuivre et ses alliages, laiton, bronze, maillechort. Officiellement, les métaux sont destinés à l'état français, Vichy à l'époque. Les Français sont pourtant persuadés que tous les métaux récoltés partent en Allemagne et ils rechignent à apporter leur batterie de cuisine et, malgré la propagande, la collecte est insuffisante 1.
socle vide de la statue d'Arago, Paris
Le 11 octobre 1941, le gouvernement de Vichy décrète:
Article 1: Il sera procédé à l'enlèvement des statues et monuments en alliage cuivreux sis dans les lieux publics et dans les locaux administratifs qui ne présente pas un intérêt artistique ou historique.
La qualité artistique ou historique des statues en bronze est à la discrétion du Gouvernement et de ses commissions qui en profitent pour faire disparaître des grands hommes qui ne partagent pas les valeurs de la Révolution Nationale du Maréchal Pétain.
Photographie tirée de l'ouvrage de Daniel Pellus
La Marne dans la Guerre 1939-1945, Éditions Horvath, 1987
accompagnée de la légende suivante :
« Le démantèlement d'un des monuments les plus célèbres de Reims,
le Monument aux Noirs, photographié clandestinement par Monsieur Cocset »
Afin de contribuer à l'effort de guerre nazi, le gouvernement de Vichy fait déboulonner de nombreuses statues qui incarnent l'esprit libre républicain. Dans la France occupée, Camille Desmoulins, Voltaire, Emile Zola, Jean-Jacques Rousseau, Marat, Condorcet, Louis Blanc, Claude Bernard, Charcot, Maria Deraisme et bien d'autres descendent de leur piédestal. Charles Fourier le dangereux utopiste les suit dans les ateliers de fonte où il contribue à l'effort de guerre et se retrouve peut-être transformé en canon ou en matériau pour la statuaire allemande.
Diderot, statue en bronze, Jean Gautherin 1885, Paris
une statue qui a échappé à l'épuration de Vichy
Mais les considérations idéologiques n'expliquent pas complétement l'enlèvement des statues de bronze. Entre 1870 et 1914 beaucoup de statues aux qualités esthétiques contestables furent érigées. La loi de 1941 permit de se débarrasser des plus critiquées.
statue en bronze de Maria Deraisme, Louis-Ernest Barrias, 1898
détruite en 1941, refondue en 1983
Remarquons que très peu de statues de femmes furent détruites ... parce qu'il y en avait très peu. Représentant le plus souvent des allégories et non de dangereuses activistes, les statues de femme étaient moins en danger. Seule la statue de Maria Deraisme, un mauvais esprit féministe et anti-clérical, fut fondue.
Après la guerre, beaucoup de statues disparues de la place publique ont été remplacées. Place de Clichy, le Général Moncey trône au centre de la place alors que ses exploits sont bien oubliés. Charles Fourier l'utopiste est toujours absent. Dérangeait-t-il encore, était-il encore trop subversif pour revenir malgré les nombreuses demandes faites au Conseil de Paris?
Le socle d'Arago est toujours vide mais une oeuvre conceptuelle de Jan Dibbets évoque le savant disparu.
L'archange et le dragon, Fontaine Saint-Michel, statues en bronze, Paris
A Reims, le "monument à l'armée noire" dédié aux troupes africaines de 14-18 a été réinstallé au parc de Champagne. Le sculpteur Jean-François Gavoty a reproduit l'oeuvre de Paul Moreau-Gauthier d'après le groupe sculpté de Bamako au Mali. Le nouveau "monument à l'armée noire" installé pour la commémoration du Centenaire de la Grande Guerre a suscité la colère d'un groupe d'opposants car le socle n'est pas conforme à l'original.
La statuaire civique donne toujours lieu à des polémiques esthétiques, idéologiques ou économiques.
statue de Condorcet, une des 95 statues parisiennes déboulonnées par Vichy en 1941
refondue d'après le moule original en 1991
Liens sur ce blog:
Catherine-Alice Palagret
janvier 2009
statuaire publique
Sources:
1- Vendanges de bronze. Jean-Pierre Koscielniak. Editions d'Albret. 2007.
2- in L'esthétique de la rue Colloque d'Amiens L'Harmattan 1998