10 novembre 2008 1 10 /11 /novembre /2008 17:00
 
   Erigée au milieu d'immeubles miroirs, la colonne d'Anne et Patrick Poirier "Hommage à Nicolas Ledouxse réfléchit sur les multiples vitres et se disloque une deuxième fois. Les fûts d'acier polis reflètent à leur tour le décor moderne de ce nouvel ensemble de bureaux de l'architecte Olivier Clément Cacoub.
 
   La colonne bancale d'Anne et Patrick Poirier souligne la perte de tradition de l'architecture moderne des années 80. Ces immeubles «modernes» étaient déjà d'une architecture dépassée avant même d'être inaugurés en 1989 par Jacques Chirac, alors maire de Paris. En 1990 "Urbanismes et Architecture", une revue professionnelle, cita le quartier du Ponant comme une catastrophe urbaine.
 
 
 
"Hommage à Nicolas Ledoux", colonne brisée du Ponant,
Anne et Patrick Poirier, 1989
 
 
 
     Il existe à Toronto au Canada, une colonne brisée assez semblable à celle du Ponant. Elle est intitulée «Mémoire du futur» (1992). Si Anne et Patrick Poirier donnent des titres contradictoires à des oeuvres très semblables, la fausse ruine "Hommage à Nicolas Ledoux" n'est pas seulement un écho du passé. Il s'agit autant d'archéologie du futur que de la trace d'une civilisation ancienne, les temps se mélangent. Comme le passé, le futur est fragile et peut disparaître dans le chaos.
 

 

Mémoire du futur, 1992, à Toronto
d'Anne et Patrick Poirier, 1992
 
 
     A Prato en Italie, une autre colonne disloquée est figée dans sa chute. Le titre, tiré d'une ode d'Horace, « Exegi monumentum aere perennius » (j'ai construit un monument plus durable que le bronze) apposé sur une ruine, même fausse, souligne au contraire  du poème que rien ne dure. La suite, du titre «regalique situ pyramidum altius...» (et plus noble que les pyramides des rois) souligne l'aveuglement des hommes, et des artistes, à chanter leur propres louanges.
 
 

 
« Exegi monumentum aere perennius »,
colonne brisée d'Anne et Patrick Poirier en Italie
Source
 
 
   Près de l'autoroute Clermont-Ferrand - Saint-Etienne, dans les Bois Noirs sur l'aire de Suchères, se trouve une autre oeuvre. "Colonne" (1984) est composée de deux pièces. Une colonne debout de quatre tronçons haute de dix mètres et une autre effondrée en sept morceaux. Faites de béton poli, elles imitent le marbre, trace témoignant de la conquête de la Gaule et de la Chute de l'Empire romain. Le gigantisme de cette colonne brisée s'accorde à l'espace sans limite de l'autoroute tout en créant une atmosphère macabre. Le temps immobile des ruines souligne la vitesse parfois mortelle de la civilisation de l'automobile.
 

 

Colonne d'Anne et Patrick Poirier, Aire de Suchères
 
 
   Enigmatiques, ces colonnes géantes tantôt abattues et mutilées tantôt encore entières fièrement dressées vers le ciel renvoient à la mythologie des temps homériques, au monde des Titans et des chimères ou aux temps futurs non encore advenus.

 Avec l'acier poli de l'Hommage à Nicolas Ledoux, les Poirier refusent le simulacre et la colonne brisée se donne à voir comme l'effondrement fracassant d'un monde futur, condamné avant d'avoir existé. Réinvention poétique du passé ou du futur, cette fausse ruine à la perfection lisse et brillante d'Anne et Patrick Poirier résonne comme un avertissement.
 
     Au début des années 1970, Anne et Patrick Poirier exposent des maquettes de cités antiques: ruines de la Domus Aurea, villa de l'empereur Néron, ruines d'Ostia Antica (1971). Faites de minuscules briques crues ou calcinées, de petits morceaux de charbon de bois, ces cités mystérieuses, reconstitution archéologique ou imaginaire, participent de la fascination des ruines qu'éprouvent les artistes.
 
 
Quartier d'affaires du Ponant
Immeubles miroirs et colonne d'acier brillant
d'Anne et Patrick Poirier, 1989
 
 
 
    "Fascination des ruines" est d'ailleurs le titre d'une de leurs expositions en 1977. Recréant avec une minutie maniaque un monde onirique et légèrement inquiétant, ils parlent de la fin des civilisations. Leurs maquettes sont de fragiles memento mori.
 
 
 
Domus aurea, ruines d'Anne et Patrick Poirier
 

 

     Avec la sculpture «Hommage à Nicolas Ledoux» (Claude-Nicolas Ledoux), installée dans la quartier du Ponant à Paris, Anne et Patrick Poirier changent d'échelle mais l'obsession des civilisations disparues demeure. La colonne disloquée est faite de sept cylindres décalés, en équilibre précaire, comme rescapée d'un tremblement de terre ou d'une guerre dévastatrice. Cette colonne ne soutient plus rien, elle est le seul vestige d'une grandiose construction.
 
 
 
"Hommage à Nicolas Ledoux",
colonne brisée du Ponant Anne et Patrick Poirier, 1989

 

 

    La colonne brisée « Hommage à Nicolas Ledoux » est un ironique hommage à l'architecte utopiste (1736-1806). Faite d'acier, elle renvoie aux massives colonnes de pierre dont Ledoux ornait ses bâtiments. Ses colonnes néo-classiques alternent des sections carrées et rondes produisant un effet de rupture repris par les Poirier.
 
 



saline royale d'Arc-et-Senans de Claude-Nicolas Ledoux
Source


 
 Les fausses ruines, ou fabriques, sont une tradition dans les jardins romantiques à partir du XVIIIè siècle en France, en Italie, en Russie, en Angleterre etc. La découverte de Pompéi ou de Troie enflamme l'imaginaire des artistes; le goût des ruines se développent. Le paysagiste conçoit alors des ruines copiées de l'antique ou complètement inventées, réinventées. Ces fausses ruines évoquent des palais et des temples somptueux. 1
 
    Au Parc Monceau à Paris, Carmontelle entoure un bassin de fausses colonnes à moitié détruites. Les pierres effondrées ne sont plus l'oeuvre du temps mais une intervention esthétique, un simulacre poétique qui renvoie à un passé mythifié. La beauté désolée des ruines est propice à la méditation sur le temps qui passe et la mort des civilisations. C'est un jeu sur l'illusion et le factice.
 

 

 

Liens sur ce blog:

Anne et Patrick Poirier à Chaumont sur Loire, "Oculus historiae", archéologie fictive

Anne et Patrick Poirier, La Fabrique de la Mémoire, liste contre l'oubli

* - Anne et Patrick Poirier à Chaumont sur Loire, "Capella dans la clairière", archéologie fictive

Ruines et reconstructions, Makom de Michal Rovner, d'Israël au Louvre

L'archéologie du futur de Samuel Olou

Anish Kapoor, Cement Works, ruines électroniques aux Beaux-Arts

Trompe-l'oeil de Pierre Delavie pour l'exposition Moi Auguste Empereur

 
 
 
 
Catherine-Alice Palagret
ruines et art contemporain
novembre 2008
 
 

1- Denis Diderot. Salon de 1776: "Ruine ne se dit que des palais, des tombeaux somptueux ou des monuments publics."
 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

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31 octobre 2008 5 31 /10 /octobre /2008 00:40

 

    Un chaton dans une chaussette accrochée à une corde à linge (Cat on a Clothesline), un coeur violet (Hanging Heart) réfléchissant mille lumières, une fleur magenta (Balloon Flower) voilà les oeuvres emblématiques devant lesquelles Jeff Koons a joyeusement posé  lors de la conférence de presse à la Neue Nationalgalerie à Berlin.  Après une rétrospective à Chicago, après "Jeff Koons on the Roof" à New-York, après "Jeff Koons Versailles" en France, le roi du néo-pop continue sa tournée mondiale comme une rock star, manifestement heureux de son succès. La crise financière et les dernières enchères moins spectaculaires de ses oeuvres ne semblent pas l'atteindre.

 

Cat on a Clothesline. polyethylene
 312.4 x 279.4 x 127 cm
1994–2001



     Au château de Versailles, Jeff Koons confronte ses oeuvres kitsches au décor baroque des salons royaux. Les aspirateurs Hoover dialoguent avec un portrait de Marie-Antoinette et Bear and the Policeman trône dans le salon de la Guerre face à un portrait farouche du roi Louis XIV. A Berlin, on ne risque pas le scandale de la juxtaposition de l'art classique et de l'art contemporain. La Neue Nationalgalerie, bâtiment conçu par Mies van der Rohe, s'efface devant les oeuvres  qui se répondent les unes aux autres dans un grand espace clair, ensemble et non dans des pièces séparées.

    Koons présente onze sculptures de la série "Celebration", débutée dans les années 90 alors qu'il divorçait de la Cicciolina et perdait la garde de son fils Ludwig. Ces oeuvres monumentales, brillantes et lisses sont inspirées de jouets d'enfant et de bibelots de la culture populaire. Il existe cinq versions en différentes couleurs des sculpture gonflables. En fait les coeurs, chiens, fleurs, diamants sont des trompe-l'oeil. Ils ont l'air de ballons légers comme l'air mais ils sont faits d'acier inoxydable et pèsent des tonnes. Ils sont cependant fragiles car le revêtement chromé se raye facilement.

Hanging Heart (magenta) à Versailles


Hanging Heart
, le coeur rouge est en ce moment à Versailles, le violet à Berlin.
Balloon Dog (magenta) est dans le salon d'Hercule du château de Versailles, Balloon Dog (red) est à Berlin.
Balloon Flower (yellow) est dans la cour d'honneur du château de Versailles.
Balloon Flower (magenta) est à Berlin. Il s'agit de la pièce provenant de la collection Rachofsky mise aux enchères chez Christie's en juin 2008 à Londres.
Il y a aussi Balloon Flower (blue), exposé sur une place devant le siège de Daimler-Chrysler à Berlin depuis plusieurs années.
Moon (blue) est à Versailles dans la Galerie des Glaces, Moon (magenta) à Berlin.

Balloon dog (magenta) dans le salon d'Hercule à Versailles
acier inoxydable chromé
On verra Tulips, les mêmes tulipes que celles exposées sur le toit du Metropolitan Museum of Art; Baroque Egg with Bow, un oeuf de Pâques enrubanné et "Cracked Egg" un oeuf cassé en deux, Diamond (yellow) un diamant.

Cat on a Clothesline et Elephant (yellow) sont des oeuvres moins souvent vues.



Cat on a Clothesline. polyethylene
 312.4 x 279.4 x 127 cm
1994–2001


Voir une video du vernissage à Berlin

    "Jeff Koons Celebration" fait partie d'une série d'expositions dans les musées berlinois intitulée "culte de l'artiste". Comme Andy Warhol ou Salvador Dali, Jeff Koons est expert à alimenter son propre culte. A côté de l'artiste américain exposé au premier étage, l'exposition "L'univers de Paul Klee" comprend 250 oeuvres au rez-de-chaussé.

    Bien que toutes les sculptures de Jeff Koons soient très lourdes et très encombrantes elles voyagent beaucoup autour du monde, nécessitant une logistique très sophistiquée et très coûteuse.

Suite de la tournée mondiale de Jeff Koons: Londres en juillet 2009, la Serpentine Gallery présentera la série Popeye.




Liens sur ce blog:

Jeff Koons à Versailles
Le bestiaire de Jeff Koons à Versailles
Rabbit de Jeff Koons à Versailles
Bear and the policeman de Jeff Koons à Versailles
Split-rocker dans les jardins de l'Orangerie à Versailles

L'art contemporain et Jeff Koons à Versailles
Visite de l'atelier de Jeff Koons mise aux enchères
Le projet de locomotive suspendue à Los Angeles
Jeff Koons et l'art rigolo




"Jeff Koons Celebration"
Neue Nationalgalerie, Berlin, Allemagne
29 octobre - 8 février 2009



Catherine-Alice Palagret

Source: Art das Kunstmagazine

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20 octobre 2008 1 20 /10 /octobre /2008 22:24



   C'est assez difficile à croire mais en 2005 « Equal-Parallel/Guernica-Bengasi », une sculpture de 38 tonnes de Richard Serra, a disparu sans laisser de traces. Après avoir vu « Clara Clara » au jardin des Tuileries ou « Promenade » au Grand Palais, deux oeuvres monumentales de l'artiste américain, on reste perplexe; comment des sculptures géantes ne pouvant se manier qu'avec des grues et une équipe de déménageurs peuvent-elles se volatiliser!


Promenade de Richard Serra au Grand Palais à Paris en 2008


    C'est pourtant la mésaventure qui est arrivée il y a trois ans au Musée Reina-Sofia, le musée d'art contemporain de Madrid. A partir du 10 février 2009, le Musée présentera de nouveau « Equal-Parallel/Guernica-Bengasi » mais ça ne sera qu'une copie qui ne fera pas oublier le scandale entourant la non-présence de l'original.


" Equal-Parallel/Guernica-Bengasi" de Richard Serra
au MOMA de New-York


    Comme toutes les oeuvres in situ de Richard Serra " Equal-Parallel/Guernica-Bengasi" a été crée spécialement en 1987 pour le Musée Reina Sofia. Présentée dans l'exposition "Références: une rencontre artistique dans le temps", l'oeuvre a été exposée pendant quatre ans et elle a ensuite été démontée et confiée à une entreprise de stockage.  En 2005, lorsque la nouvelle directrice du musée Ana Martinez de Aguilar a fait établir un nouvel inventaire, elle a décidé de réinstaller « Equal-Parallel/Guernica-Bengasi » mais il a été impossible de retrouver la gigantesque installation constituée de quatre pièces d'acier, deux carrés et deux rectangles, pesant 38 tonnes. L'entreprise Macarrón SA qui était supposée détenir l'oeuvre avait fait faillite.
    Ana Martinez de Aguilar déclarait au quotidien espagnol ABC: “Ca a été une terrifiante surprise quand nous avons dit à Jesús Macarrón (le président de la compagnie de stockage) que nous cherchions l'oeuvre de Richard Serra et qu'il nous a répondu qu'il ne savait pas où elle était.”


Clara Clara, installation de Richard Serra aux Tuileries à Paris


    La « Brigada de Delitos contra el Patrimonio Histórico de la Policía Judicial » a mené l'enquête et constaté de nombreuses négligences, de la part du musée et du stockeur, dans la tenue des registres. Ses investigations l'ont conduite à creuser le jardin de l'entreprise de stockage à Arganda del Rey, sans rien trouver. La sculpture a pu être découpée en morceaux et vendue au poids par des voleurs qui ignoraient sa vraie valeur. Depuis la directrice Ana Martinez de Aguilara a donné sa démission, remplacée par  Manuel Borja-Villel.

    Le titre de l'oeuvre « Equal-Parallel: Guernica-Benghasi » se réfère, selon Serra, à deux actions militaires. La première est le bombardement de Guernica par la Luftwaffe le 26 avril 1937 pour aider Franco à éliminer les Républicains pendant la Guerre Civile. Tout de suite après Pablo Picasso  peint Guernica, un grand tableau dénonçant le massacre des populations civiles. Ce tableau conservé à New-York est revenu à Madrid en 1981 au musée Reina-Sofia, après la mort de Franco. La deuxième action à laquelle la sculpture se réfère est le bombardement de Benghasi en Libye par l'aviation américaine en 1986, sur l'ordre du Président Ronald Reagan.

    Autant le tableau de Picasso décrit la terreur des espagnols sous les bombes, autant l'oeuvre minimaliste de Richard Serra reste extérieure au drame. Sans le titre, il serait impossible de deviner le rapport de ces feuilles d'acier lisses et proprement ordonnées avec le tumulte d'un bombardement.


Promenade de Richard Serra au Grand Palais à Paris en 2008


    Après la mystérieuse disparition de « Equal-Parallel: Guernica-Benghasi » Richard Serra a accepté de refaire son oeuvre au prix coûtant et c'est ce double qui sera exposé à Madrid, après New-York. Acheté 36 millions de pesetas ($220,000) en 1987 et valant beaucoup plus aujourd'hui, le double ne coûtera que 80,000 Euros.

    Grâce aux croquis, aux modèles et aux spécifications techniques très précises que Richard Serra confie aux ingénieurs, il n'est pas très difficile de refaire une copie de l'oeuvre originale. Si l'oeuvre antérieure est jamais retrouvée faudra-t-il en détruire une ou garder les deux? Richard Serra estime que la deuxième oeuvre est aussi un original. Un beau dilemme en perspective.

Clara Clara, installation de Richard Serra aux Tuileries à Paris
empreintes de mains sur l'acier rouillé


   Si le vol d'oeuvre d'art est en pleine expansion, le vol de pièces aussi lourdes et encombrantes est plus rare. En 2006 « Reclining Figure » d'Henry Moore, un bronze pesant deux tonnes, a été volé en Angleterre. Personne n'a réclamé la récompense offerte et la sculpture a peut-être été fondue au prix du métal. L'envolée du prix des métaux motive les voleurs qui vont jusque dans les cimetières récupérer les croix et les ornements funéraires.


L'installation de Clara-Clara de Richard Serra dans le fer à cheval des   Tuileries
Richard Serra: Promenade au Grand Palais à Paris
Une oeuvre de Richard Serra oubliée au fond du Bronx?
 La fonte des statues de bronze en temps de guerre


Catherine-Alice Palagret

Sources: ABC, El Mundo

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14 octobre 2008 2 14 /10 /octobre /2008 11:46
   

     Deux animaux-bouée (Chainlink), un hippopotame bleu et une tortue verte et violette, accrochés à un grillage sont très incongrus dans la Salle des Gardes du château de Versailles.


Chainlink,Jeff Koons 2002-2008
acier galvanisé et aluminium


   Presque toutes les oeuvres de Jeff Koons ont un lien, même tenu, avec la pièce du château de Versailles où elles sont exposées. Les aspirateurs Hoover, New Hoover convertibles, devant le portrait de Marie-Antoinette, fermière promue ménagère de moins de cinquante ans, sont assez amusants.
     Balloon Dog (magenta) devant une immense toile de Véronèse renvoie aux petits chiens qu'on trouve souvent dans la peinture de la Renaissance. Pink Panther, la panthère amoureuse est dans le salon de la paix et le policier, du duo Bear and the policeman, est dans celui de la Guerre.


Chainlink,Jeff Koons 2002-2008
acier galvanisé et aluminium


   Par contre la présence de l'Hippopotame et de la Tortue dans la Salle des Gardes est moins évidente. Seule la grille renvoie à la notion de garde, de prison. On peut y voir aussi  des trophées de chasse éviscérés!
Des trophées bien dérisoires comparés à ceux que le roi et ses courtisans rapportaient de leurs battues. Les bosquets de Versailles abritent des sculptures animalières qui exaltent la sauvagerie du monde animal et la grandeur du chasseur qui le traque. Les sangliers éventrent des biches et les dragons crachent de l'eau. La violence des animaux s'oppose à la grandeur policée du parc versaillais.
 

Chainlink,Jeff Koons 2002-2008
acier galvanisé et aluminium



   Chez Koons la violence brute n'existe pas. Comme dans la culture enfantine américaine, la violence est anesthésiée par un traitement plastique mièvre.  La violence n'est que sous-jacente. Dans Bear and the policeman, l'air bonasse de l'ours cache son avidité. Dans Michael Jackson and Bubbles la violence est celle que le chanteur fait subir à son propre visage.



Chainlink,Jeff Koons 2002-2008
acier galvanisé et aluminium


     Les vraies bouées en forme d'animaux au regard innocent sont en plastique gonflable, fragile et facile à percer.
Elles sont fabriquées pour plaire à un public enfantin et rassurer les parents. Elles parlent de sécurité et de sauvetage mais elles parlent aussi de mort et de noyade.

   
Koons les reproduit en aluminium imputrescible, presque immortel. Comme toutes ses sculptures ballons, leur aspect léger est un leurre, un trompe-l'oeil. L'imitation parfaite masque la nature réelle des oeuvres, lourdes, solides, increvables.

Jeff Koons déclarait:
« Les objets gonflables, bien sûr, sont une métaphore des gens; pour moi, ils sont une métaphore de la vie et de l'optimisme. L'image la plus morbide que je connaisse est celle d'un objet gonflable qui s'est effondré. » 1


Lire: Bear and the policeman
        Rabbit
        Split-rocker
           Buste de Louis XIV en inox et buste de Jeff Koons en marbre
           Le bestiaire de Jeff Koons



"Jeff Koons Versailles"
Exposition prolongée jusqu'au 4 janvier 2009



Catherine-Alice Palagret


1- in Chicago.mag.com
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13 octobre 2008 1 13 /10 /octobre /2008 16:49


    Au milieu des animaux, panthère, ours, cochon etc, Jeff Koons n'expose que deux bustes d'humains dans les appartements royaux de Versailles. Il s'agit de deux sculptures, dans une représentation classique, loin de sa ménagerie cartoonesque et lisse.


Auto-portrait, Jeff Koons 1991
Marbre dans le salon d'Apollon


  L'auto-portrait de Jeff Koons est taillé dans le marbre blanc, matériau noble traditionnel. Tel un Apollon, il émerge d'un chaos de rochers. Coiffure stylisée comme dans les sculptures archaïques, menton haut levé, l'artiste regarde vers le ciel, sans l'humilité cependant du Saint représenté à sa gauche. L'air arrogant du roi du néo-pop s'accorde à merveille à la morgue du Roi-Soleil.

Auto-portrait, Jeff Koons 1991. Marbre dans le salon d'Apollon


     L'auto-portrait date de l'époque de la série "Made in Heaven" où Koons se représentait avec sa femme, la Cicciolina, dans des photos, peintures et sculptures pornographiques. Il déclarait à l'époque: "Mon art et ma vie ne font qu'un. J'ai tout ce que je désire et je fais ce qui me plaît."  Avec ironie, l'artiste installe son auto-portrait dans le salon d'Apollon.


Louis XIV, Jeff Koons 1986
Acier inoxydable, salon de Mercure


     Double dérision, alors que Jeff Koons se représente en marbre, Louis XIV n'a droit qu'à l'acier inoxydable, matériau moderne brillant mais bon marché. Le Roi-Soleil, qui se croyait unique, se retrouve moulé dans un matériau qui permet la reproduction à l'infini, relégué au rang d'ustensiles en inox.


Buste en marbre de Louis XIV à Versailles
XVIIè siècle


    A part l'acier inoxydable peu orthodoxe, le buste de Louis XIV par Jeff Koons a l'air très officiel et il trône dignement dans le salon de Mercure sur une console, surmonté d'un portrait en pied d'une grande dame de la cour. L'ample perruque bouclée du monarque se détache sur la robe fleurie qu'elle reflète.


Le jeune Roi-soleil sur la nouvelle grille du château de Versailles


    Jeff Koons préfère représenter des personnages de dessins animés (Popeye, Hulk, la Panthère rose) qui sont devenus des archétypes. Quand il s'occupe des hommes, c'est avant tout des célébrités, des icônes de la culture de masse comme Bob Hope, Buster Keaton ou Michael Jackson. Des stars qui ont su façonner leur propre image comme Louis XIV le fit.

    Le Roi-Soleil, lieu-tenant de Dieu sur terre, est omniprésent à Versailles en tableaux, en sculpture, en tapisserie. Il est lui-même sa plus grande oeuvre. Le jeune roi, danseur et  grand acteur, top-model avant l'heure, s'est servi de son image pour mieux régner sur un pays encore agité par la Fronde. Jeff Koons lui se sert de l'iconographie populaire pour régner sur l'art contemporain.


  Vingt-deux ans avant d'exposer à Versailles, Koons s'intéressait déjà au Roi-Soleil en qui il voyait "un symbole de raffinement et de lumière".



Lire: Bear and the policeman de Jeff Koons
        Rabbit de Jeff Koons
        Split-rocker de Jeff Koons
        le bestiaire de Jeff Koons


"Jeff Koons Versailles"
Exposition prolongée jusqu'au 4 janvier 2009

Catherine-Alice Palagret
Texte et photos

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12 octobre 2008 7 12 /10 /octobre /2008 15:23

 

Des animaux et des hommes


    Jeff Koons aime beaucoup représenter des animaux, de préférence associés à des humains. Ces animaux n'ont rien de réalistes, il ne s'agit pas de représenter le vrai monde animal mais l'affadissement qu'il subit dans les livres pour enfant ou les dessins animés. La sauvagerie naturelle des animaux est édulcorée et ils deviennent de gentils compagnons. Portant parfois des vêtements, ces animaux sont presque comme nous et leur visage imite les expressions humaines. Jeff Koons, le plasticien américain, présente de curieux couples dans les appartements royaux du château de Versailles.



Pink Panther, Jeff Koons 1988
Porcelaine, dans le salon de la Paix


     Pink Panther, la panthère rose et une femme blonde (Jane Mansfield) s'enlacent dans le Salon de la Paix. La Belle est peut-être une sirène et la Bête vient d'un dessin animé de Fritz Freleng, conçu pour le générique du film "Pink Panther" sur une musique d'Henri Mancini. Comme toujours, la panthère a l'air totalement ahuri et l'enlacement de la pin-up voluptueuse ne peut que la surprendre davantage. C'est un mélange d'érotisme et de naïveté.




Pink Panther, Jeff Koons 1988
Porcelaine, dans le salon de la Paix



Versailles-Koons-Pink-Panther-salon-Paix-2.jpgPink Panther, Jeff Koons 1988
Porcelaine, dans le salon de la Paix


    
      Bear and the policeman, l'ours et le policier se regardent sidérés dans le Salon de la guerre.



Bear and the policeman, l'ours et le policier
Jeff Koons 1988, Bois polychrome


   Deux angelots et un garçonnet (Ushering in banality) entourent une truie dans le Salon de Diane. L'image est bizarre et le titre aussi: "Entrée dans la banalité"? 



Ushering in banality, Jeff Koons 1988
Bois polychrome

   



Ushering in banality, Jeff Koons 1988
Bois polychrome
vu à travers la cage de verre


     Michael Jackson et Bubbles, son chimpanzé favori, sont dans le salon de Vénus. Représentés dans un style hyper-réaliste, vêtus d'or et de blanc, le chanteur et l'animal ont le même teint blafard et le même regard vide. Comme l'ours, le singe est habillé. Le singe Bubbles vivait à Neverland avec le chanteur, il assistait à ses répétitions et à ses spectacles. La porcelaine est une des plus grandes au monde et elle représente un défi technique. Il y a profusion de porcelaines et de dorures à Versailles et Koons en souligne le mauvais goût avec une oeuvre très kitsche, copiée d'un bibelot bon marché. 




Michael Jackson et Bubbles, Jeff Koons 1988
Porcelaine dans le salon de Vénus
vu à travers la cage de verre


      Split-Rocker  (voir photos), la sculpture végétale installée dans le parterre de l'Orangerie, est composée d'une demi-tête de poney et d'une demi-tête de dinosaure.




Chainlink, Jeff Koons 2002-2008
acier galvanisé et aluminium

     Deux animaux-bouée (Chainlink), un hippopotame bleu et une tortue verte sont accrochés à un grillage et ne se regardent pas. Les animaux en acier imitant le plastique sont très incongrus dans la Salle des Gardes.




Rabbitt de Jeff Koons, à Versailles



   Restent quelques animaux solitaires. Rabbit  le lapin argenté tient fiérement une carotte sous l'oeil de fiers militaires. Construit d'après un jouet gonflable acheté dans un magasin, la sculpture du lapin est fait de métal brillant indestructible. Son visage a été effacé.

“Les objets polis ont souvent été exposés par l'Eglise et les gens fortunés pour donner l'impression de sécurité matérielle et d'élévation spirituelle. L'acier inoxydable est une fausse réflection de ce fait."


   Lobster la langouste porte des moustaches sans doute inspirées de celles de Salvador Dali. Jeff Koons partage avec celui qu'on surnommait Avida Dollar le même goût de la publicité et de l'outrance.




Lobster, Jeff Koons 2003
Aluminium polychrome et chaîne d'acier peinte
dans le Salon de Mars



   Balloon Dog (magenta), le chien-ballon, géant lisse et brillant occupe majestueusement le Salon d'Hercule. Un chien que pourrait affronter Hercule si le ballon n'avait l'air si pacifique. Telle une idole de la fertilité, ses formes sont à la fois masculines et féminines. Jeff Koons le décrit comme un cheval de Troie. Pour infiltrer et détruire la culture classique bourgeoise?

    Quelques sculptures en acier, bois polychrome ou porcelaine manquent à la parade animalière: l'âne, la chenille, le dauphin, le caniche et les chiens, les singes représentés dans diverses oeuvres koonsiennes tout au long des années n'ont pas fait le voyage jusqu'à Versailles!




Balloon Dog (magenta) de Jeff Koons, 1994-2000
Acier chromé inoxydable
Salon d'Hercule


    Toutes ces sculptures forment un joyeux bestiaire un peu trouble qui, bien qu'inspiré du monde de l'enfance, n'a rien de candide. La mythologie enfantine du XXè siècle et la sous-culture populaire remplacent avec ironie la mythologie classique, grecque et romaine qui fonde le programme iconographique du château de Versailles.







Liens sur ce blog:


Bear and the policeman de Jeff Koons

Rabbit de Jeff Koons

Split-rocker de Jeff Koons




Le canard blessé de Pascal Bernier chez Deyrolle

"Jeff Koons Versailles"
Exposition prolongée jusqu'au 4 janvier 2009

Catherine-Alice Palagret
art contemporain
octobre 2008





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8 octobre 2008 3 08 /10 /octobre /2008 18:15


    Installés juste à l'entrée de la Galerie des Glaces, Bear and the Policeman, l'ours et le policier, dynamitent l'esprit de sérieux des lieux. C'est comique de voir un couple si ridicule  dans le salon de la Guerre à Versailles. Le policier, représentant de la civilisation et de l'ordre, est sous l'emprise de l'Ours, représentant de la force sauvage alors que Versailles est la glorification du pouvoir de l'homme, du Roi, sur la nature.


Bear and Policeman, l'Ours et le policier
Bois polychrome, Jeff Koons 1988


    Ressemblant à un bibelot kitsch démesurément agrandi ou à un dessin de livre pour enfant, la sculpture de Jeff Koons détonne dans le salon tout à la gloire de Louis XIV.
Au milieu des dorures et du marbre, l'ours et le policier, dans leur simplicité plastique, révèlent la démesure et la boursouflure du décor versaillais. Les tableaux, les sculptures, les tapisseries, les plafonds peints célèbrent le souverain en Apollon, en héros romain ou en homme de son siècle.  Toute cette luxueuse ornementation a un rôle politique. Le programme iconographique de Versailles, basé sur la mythologie, devait éblouir les courtisans du royaume et les nobles visiteurs étrangers.


Portrait de Louis XIV à Versailles

    Dans les appartements royaux, tout est pompeux, révérencieux, théâtral. Comme pour les dirigeants communistes, le culte de la personnalité est une manière d'affermir le pouvoir, de dominer le peuple ... ou les nobles. Au contraire Bear and the Policeman sont complètement irrévérencieux et leur présence loufoque fait ressortir l'incroyable idôlatrie que Louis XIV a conçu pour domestiquer une noblesse turbulente.
1


L'Ours et le Policier à l'entrée de la Galerie des Glaces
Bois polychrome, Jeff Koons 1988


    Il ne reste plus de souverain à aduler ni de grands hommes. Le programme iconographique de Jeff Koons est fait de dérision. Avec ironie, il glorifie  des objets tout à fait banals, triviaux, manufacturés par millions: des lapins gonflables, des bouées, des chiens ballons. Ces objets prosaïques de la société américaine valent quelques dollars. Jeff Koons réussit le tour de magie d'en faire des oeuvres d'art valant des millions de dollars.


L'Ours et le Policier dans le salon de la guerre
Bois polychrome, Jeff Koons 1988


   L'ours et le policier sont reproduits grandeur nature; Jeff Koons s'est inspiré d'une image populaire, faite pour amuser, comme ces bibelots de grenouille lisant un journal ou de bouledogue jouant du violon. C'est d'abord une plaisanterie bon enfant.




    En y regardant de plus près, la sculpture n'est pas si innocente. Il y a quelque chose de trouble dans l'attitude protectrice de l'ours et le regard fasciné du policier. Sous un doux sourire, l'ours est un prédateur et le policier au visage d'enfant est la proie, inconsciente du danger qui la guette. L'ours tient le sifflet, il y a toujours des allusions sexuelles évidente chez Koons, et s'apprête à siffler pour charmer sa future victime.



L'Ours et le Policier
Bois polychrome, Jeff Koons 1988


     Avec "Pink Panther" et "Michael Jackson et Bubble" c'est la troisième oeuvre exposée à Versailles qui associe un humain et un animal. L'ours et le policier faisait partie de l'exposition "Banality show" en 1988. La sculpture en bois polychrome a un aspect lisse et séduisant comme un personnage de conte pour enfant. Le couple est posé dans un angle du salon de la Guerre,  sans vitrine, seulement protégé par un cordon. On ne peut pas tourner autour mais on la voit assez bien. Le dos de l'oeuvre se reflète dans un miroir. Ce couple inquiétant nous amène à la Galerie des Glaces ou est installée Moon, une énorme bouée aux reflets bleus.


Moon de Jeff Koons
Galerie des Glaces, château de Versailles


     Un exemplaire de
Bear and the Policeman sera présenté à Moscou par la maison Sotheby's du 16 au 19 octobre avant les ventes aux enchères de Londres et New York, cet automne.  Le prix de départ est de 8 à 12 millions de dollars.



voir:  Jeff Koons et l'art rigolo
`          Rabbit à Versailles
        Visite de l'atelier de Jeff Koons aux enchères
        Le projet de locomotive suspendue
        L'art contemporain et Jeff Koons à Versailles
       
Split-rocker dans le parterre de l'Orangerie à Versailles
        Jeff Koons à Berlin


"Jeff Koons Versailles"
Exposition prolongée jusqu'au 4 janvier 2009


Catherine-Alice Palagret

1- La société de cour. Norbert Elias

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1 octobre 2008 3 01 /10 /octobre /2008 14:06


Michael Jackson, la Panthère rose et  Rabbit,  prisonniers d'une cage de verre


    Difficile de voir Rabbit, l'oeuvre la plus célèbre de Jeff Koons, quand il est entouré de vitres dans lesquelles se reflètent les fenêtres du château. Le beau lapin argenté se dédouble et renvoie des reflets parasites s'ajoutant à ceux du décor du salon d'Abondance.



Rabbit de Jeff Koons, 1986, acier inoxydable
104,1 x 30,5, Salon d'Abondance

 
     Il ne devrait refléter que les visiteurs et le somptueux décor baroque qui l'entoure. Murs tapissés d'arabesques vertes, lourds cadres dorés, boiseries dorées et marbre entrent en conflit avec le quadrillage des fenêtres. La riche ornementation devrait contraster avec la simplicité de Rabbit. L'effet est perdu et le lapin en devient illisible. Emprisonné dans une cage de verre, comme le veau d'or (golden calf) de Damien Hirst, il perd de sa légèreté et de sa présence. Dans son miroir déformant on ne le voit plus.




Rabbit de Jeff Koons, 1986, acier inoxydable
104,1 x 30,5, Salon d'Abondance

    Les photos de presse ou de catalogue, prises sans vitrine ou soigneusement détourées, n'ont rien à voir avec ce que le visiteur perçoit réellement. Au gré des nuages et des heures, les reflets changent de place offrant une nouvelle vision morcelée. Le reflet est part intégrante des oeuvres polies et lisses de l'artiste américain mais la vitrine ajoute une complication visuelle inutile.




Rabbit de Jeff Koons, 1986, acier inoxydable
104,1 x 30,5, Salon d'Abondance


 
    De plus une barrière empêche le visiteur d'approcher et de faire le tour de la sculpture. Les sculptures ne doivent-elles pas être vues de tous les côtés, ce qui est le cas lorsqu'elles sont exposées dans un musée? En septembre 2008, au MCA de Chicago, Rabbit n'était pas en cage ni derrière une barrière.


Rabbit et Jeff Koons à Chicago


 
    "Rabbit" (1986) le célèbre lapin argenté, est inspiré d'un jouet gonflable (un lapin de Pâques). Agrandi à un mètre, en acier inoxydable poli, il donne l'illusion d'être un léger ballon alors qu'il est fait de métal solide. Koons travaille sur les gonflables (inflatable) depuis 1979 où il acheta des fleurs en plastique dans un magasin.

« Les objets gonflables, bien sûr, sont une métaphore des gens; pour moi, ils sont une métaphore de la vie et de l'optimisme. L'image la plus morbide que je connaisse est celle d'un objet gonflable qui s'est effondré. » déclare Jeff Koons 1.
Pour ne pas affronter la mort des jouets gonflables, l'artiste les pérennise en métal increvable et imputrescible.

    Puérile et parfait, Rabbit est l'icône de l'art néo-pop, un objet banal agrandi et placé sur un piédestal imitant le marbre. Sa présence dans le salon d'Abondance où Louis XIV exposait ses collections s'accorde parfaitement aux tableaux pompeux qui l'entourent. Célébrité dérisoire, Rabbit est peut-être aussi éphémère que la renommée des courtisans dont on a oublié le nom.




Rabbit de Jeff Koons, 1986, acier inoxydable
104,1 x 30,5, Salon d'Abondance



    On éprouve la même déception devant « Michael Jackson et Bubbles » dans le salon de Vénus, eux aussi enfermés dans une cage de verre, momifiés. De même « Ushering in banality », la truie aux trois garçonnets dans le salon de Diane ou « Pink panther » dans le salon de la paix. Toutes ces sculptures sont tenues à distance du visiteur et perdent un peu de leur force.


    Le souci de sécurité est compréhensible, il faut protéger les oeuvres de la foule mais Jeff Koons pensait-il que ses oeuvres seraient exposées ainsi?


Michael Jackson et Bubbles, 1988, Jeff Koons
reflets parasites


    Les groupes de touristes se bousculent dans l'enfilade des appartements royaux, tentant de suivre leur guide qui brandit un parapluie rose, une tête de Mickey ou un bonnet de laine. Ils s'arrêtent brusquement devant un tableau, bouchant complètement le passage tandis que le guide récite un texte que son accent français rend incompréhensible à ses auditeurs américains, anglais ou italiens.


Pink Panther de Jeff Koons
porcelaine,1988, Salon de la Paix
 

    Les visiteurs étrangers venus visiter le château de Versailles s'offusquent peu de voir des oeuvres contemporaines dans les appartements royaux et beaucoup ne les remarquent même pas, trop occupés à identifier les innombrables tableaux et bustes à la gloire du Roi-Soleil décrits dans leur guide. Ce qui n'est pas mentionné n'existe pas.

Catherine-Alice Palagret
art contemporain
octobre 2008



1-in Chicago.mag.com

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23 septembre 2008 2 23 /09 /septembre /2008 19:02
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14 septembre 2008 7 14 /09 /septembre /2008 23:32

    Un veau aux cornes d'or, un zèbre, des requins, une licorne décapitée, un cochon ailé, tous préservés dans un bac de formol. Amusante et horrible, cette morbide ménagerie est vendue aux enchères le lundi 15 et 16 septembre à Londres. Damien Hirst, ex "Young British Artists" aujourd'hui âgé de 43 ans, court-circuite les galeries, en proposant 223 oeuvres récentes, "Beautiful Inside My Head" (Beau dans ma tête pour toujours), chez Sotheby's.


Damien Hirst posant devant le zèbre
The incredible journey



     L'estimation de la vente était de 82 millions d'euros, Hirst triomphe et récolte  140 million euros. Après une première journée d'enchères, Damien Hirst avait déjà gagné son pari. “The Golden Calf,” un veau blanc plongé dans du formol orné de cornes et de sabots d'or de 18 carats et d'un disque d'or sur le tête a été adjugé $23.6 million alors qu'il était  estimé à $15.8 million. Le veau d'or devient la nouvelle idole du marché de l'art.


Veau aux cornes d'or de Damien Hirst
"The golden calf"
    Les enchères, où seuls des invités pouvaient assister, ont débuté par “Heaven Can Wait” (le ciel peut attendre), un triptyque de papillons et de diamants estimé à £500,000. Une telle vente, sur deux jours, est une première dans le monde de l'art et pourrait en modifier les règles.




Le veau aux sabots d'or
The golden calf



      En ignorant ses deux principaux galéristes, Jay Jopling de la White Cube Gallery à Londres et Larry Gagosian à New-York, qui touchent environ 30 % des ventes, Damien Hirst entretient sa réputation de provocateur. Les deux galéristes, pas rancuniers, ont assisté à la vente.





 salle d'exposition chez Sotheby's


    Damien Hirst s'est fait connaître en 1992 à la Biennale de Venise, par une vache et son veau coupés en tranches dans du formol (Mother and Child Divided). Il a continué à marquer les esprits avec, entre autres, un requin plongé dans le formol (The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living) puis par un crâne incrusté de diamants, "For The Love of God ". Aujourd'hui il inonde la marché avec 223 oeuvres, nouvelles ou variations sur d'anciens thèmes.



crâne incrusté de diamants de Damien Hirst
"for the love of God"



   Chez Sotheby's, Damien Hirst propose la série des « cabinets » (vitrines) remplis de mégots de cigarette, de boîtes de pilules ou de médicaments, des crânes décorés, des peintures de papillons multicolores (de vrais papillons collés dans  la peinture), des peintures rotatives (spin paintings) et des spot paintings.

   Tant de travail n'est pas l'oeuvre d'un seul homme. Hirst, comme Jeff Koons ou Murakami, est un entrepreneur; il dirige plusieurs ateliers et environ 180 personnes travaillent à produire des "Damien Hirst".



Spot painting, Damien Hirst



" - Combien de «Spin Paintings», de «Spot Paintings» sont sortis de votre studio?
      - Peut-être 1000 «Spot Paintings». J'ai peint moi-même les 5 premiers. Quand j'ai commencé cette série, je l'ai conçue comme une série illimitée. Je les signe tous, en général au dos. Très rarement sur la toile devant, sauf si j'aime vraiment beaucoup cette pièce. Il y a peut-être 300, 400 «Spin Paintings», tous des formats différents. A peu près autant de «Butterfly Paintings». Je vais arrêter tout ça. La vente aux enchères est un bon moyen. J'ai besoin de place dans ma tête pour faire autre chose." 2


      The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living

 

    "Je fais des cauchemars. J'imagine entendre: 'Lot 9 – pas d'offre. Lot 10 – toujours pas d'offre », dit Damien Hirst, conscient du risque qu'il prend. 1
 
« J'aime bien prendre le mauvais chemin....   Il s'agit de planter un drapeau sur la lune, d'être le premier artiste à aller directement du studio aux enchères, «it's great !». Il y a une sorte de bravoure associée à ça. Beaucoup de jeunes artistes me trouvent «cool» de prendre un pareil risque à ce point de ma carrière. Il est très tentant de ne plus prendre de risques quand on vit déjà le succès."  2



Licorne de Damien Hirst
The incredible journey



    En s'attaquant aux lois du marché, Damien Hirst veut démocratiser l'art: «Vous n'avez pas besoin de vous y connaître en art ou d'entrer dans une galerie pour qu'on vous dise ce qui est bon. Si ça a l'air bon, alors c'est bon »1.

    Richard Prince
lui aussi a vendu des oeuvres directement au public à la fin de son exposition à la Serpentine Gallery. C'est une évolution nouvelle, du producteur au consommateur, inspiré du modèle d'internet où des musiciens vendent leur musique en se passant des maisons de disques. Mais, dans le monde de l'art, les sommes engagées sont colossales et seuls les riches collectionneurs, ou spéculateurs, peuvent participer aux enchères. La collusion entre l'art et l'argent est totale et on ne sait plus si on parle de valeur artistique ou de valeur commerciale. Sur un de ses dessins Damien Hirst a écrit: « Tout ce qu'il touche se transforme en or et il en meurt.” en une ironique référence au roi Midas.



Requin de de Damien Hirst
The kingdom




   Damien Hirst aime se promener au Musée d'histoire naturelle de Londres et on l'imagine bien furetant dans l'obscure échoppe d'un taxidermiste. Les extravagants bovins coupés en deux ou les fausses chimères conservées dans les aquariums trouveraient leur place dans un cabinet de curiosités. Associant la mort et le luxe, le plasticien incruste des crânes de diamants et pare d'or les cornes d'un Minotaure, nouvelle variation des « vanités ». Ces fausses idoles, modernes "memento mori", sont couvertes de métaux et de pierres précieuses comme si la richesse pouvait combattre la pourriture. Son obsession pour la décomposition est proche de celle de Peter Greenaway dans le film « Zoo ».



Crâne et médicaments
oeuvre de Damien Hirst



    Damien Hirst est avec Jeff Koons l'un des artistes vivants les plus chers au monde. Alors que Jeff Koons envahit Versailles, à Londres, Damien Hirst agite le milieu des galéristes, des collectionneurs et des spéculateurs.

    A l'heure où plusieurs grandes banques américaines sont en faillite, l'audace de Damien Hirst prouve, qu'en dépit d'une situation économique difficile, il y a toujours des acheteurs d'art, amateurs ou spéculateurs, sur le marché mondial.

A la fin de la vente, Damien Hirst a déclaré: "Je suis complètement épuisé et émerveillé que l'art se vende alors que les banques s'écroulent....Ca veut peut-être dire que les gens préfèrent mettre leur argent dans des papillons plutôt que dans les banques. - J'y vois un monde meilleur." 3

 

 

 

Liens sur ce blog:

La mort annoncée de Damien Hirst, un canular du Village Voice

Paul McCarthy, un autre provocateur


l'art rigolo

Catherine-Alice Palagret
août 2008
art contemporain



1- in Telegraph, 10.09.08
2- in LeFigaro.fr, 5.09.2008
3- in
TheHerald 16.09.2008

 

 


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