Nous voici dans une vaste salle obscure du Palais de Tokyo dont on ne distingue les contours que par intermittence quand les marquees (marquises) de Philippe Parreno s'éclairent, clignotent et vibrent. La musique du Petrouchka de Stravinski, jouée par un piano automate, tourne en boucle et se mêle au crépitement des néons.
Marquee de Philippe Parreno, Danny La Rue 2013
Anywhere, Anywhere Out of the World, Palais de Tokyo
Un ordinateur pilote l'allumage et l'extinction de seize sculptures lumineuses qui mêlées à la musique compose une symphonie visuelle heurtée. Le spectateur ébloui et aveuglé perd ses repères et cherche les murs à tâtons, essayant de ne pas trébucher sur un corps allongé sur le sol ou se cogner sur un pilier.
PHILIPPE PARRENO, Danny La Rue, seize Marquees... par Palagret
Philippe Parreno a réuni ici seize marquees, une série commencée en 2006 et dont certaines sculptures ont déjà été exposée au Guggenheim de New-York ou à Beaubourg. Faits de tubes de néon et d'ampoules dans des boîtes de verre acrylique translucide ou opalescent, accrochés par des chaînes au plafond, ces caissons lumineux s'inspirent des marquees américains, auvents lumineux suspendus au-dessus des théâtres et des cinémas américains.
Marquise lumineuse à Hollywood annonçant les spectacles
Ces marquises lumineuses servent de tableau d'affichage pour les spectacles. Autour du nom de la pièce ou du film et des noms des acteurs, des ampoules ou des néons clignotent et défilent pour attirer l'attention des passants. Quand les théâtres et les cinémas sont côte à côte, la rue nocturne est toute illuminée et vibre des plaisirs annoncés.
Marquees de Philippe Parreno, Danny La Rue 2013
Les marquises urbaines se reflètent sur le bitume dès qu'il pleut, créant une atmosphère rêveuse largement exploitée par les thrillers ou les films romantiques. Les murs de la salle d'exposition du Palais de Tokyo sont eux noirs et le sol gris mat et il y a très peu de reflet. Sobrement, les marquees de Philippe Parreno de tailles, de formes et de matériaux divers sont peu colorés. Au contraire des auvents américains clinquants, les sculptures lumineuses n'annoncent rien d'autre qu'elles-mêmes.
Marquee de Philippe Parreno, Danny La Rue 2013
Comme les fantômes d'une fête révolue, ces marquises sont muettes. Les caissons lumineux en perte de sens clignotent dans l'obscurité, apparitions - disparitions hypnotiques, créant une atmosphère mystérieuse digne du château hanté d'un parc d'attraction, cimetière d'enseignes devenues obsolètes. Régulièrement, quand la salle s'éclaire complètement pendant quelques secondes le dispositif entier de "Danny La Rue", se dévoile. Le titre de l'installation n'est pas expliqué.
Marquee de Philippe Parreno, Danny La Rue 2013
Une marquise lumineuse est installée à l'entrée du Palais de Tokyo et bien sûr elle n'annonce rien sinon l'exposition de Philippe Parreno pour ceux qui connaissent son oeuvre. "Marquee" signale un passage entre la rue et le musée, entre le réel et l'imaginaire, c'est une invitation à un spectacle qui n'aurait pas de nom.
Marquee de Philippe Parreno, à l'entrée du Palais de Tokyo
Comme Annette Messager dans ses installations, Philippe Parreno travaille avec la lumière intermittente, le bruit et le mouvement.
Lien sur ce blog:
Annette Messager: "Continents noirs", cités obscures à la galerie Marian Goodman
Philippe Parreno, Anywhere, anywhere out of the world
Du 23/10/2013 au 12/01/2014
Tous les jours, de midi à minuit
Palagret
art contemporain
décembre 2013
Dossier de presse:
Philippe Parreno, figure éminente de la scène artistique internationale, transforme radicalement le Palais de Tokyo. Il répond à la carte blanche qui lui est donnée par une exposition totale dans laquelle son dialogue avec l’architecture fait œuvre.
Figure majeure de la scène artistique française et internationale, Philippe Parreno (né en 1964, vit et travaille à Paris) doit sa renommée à une oeuvre protéiforme et souvent éphémère qui remet en question les formats d’exposition et la nature des images. En s’inspirant du cinéma comme de la télévision, du théâtre comme du spectacle, Philippe Parreno élabore différents dispositifs pour construire des situations, pour concevoir des lieux à traverser, pour créer des trames qui interrogent, simultanément, le statut de l’oeuvre d’art et celui de l’exposition. Véritable espace expérimental, l’exposition est considérée comme un format ouvert et indéterminé. « Une exposition n’est jamais finie » ; « je travaille sans scénario définitif » explique-t-il.
Philippe Parreno qui émerge sur la scène artistique au début des années 1990, considérait, lui et ses acolytes de l’Ecole des Beaux-arts de Grenoble - Dominique Gonzalez Foester, Bernard Joisten, Pierre Joseph – que « le projet était plus important que l’objet ». De fait, son oeuvre ne se matérialise qu’accessoirement sous formes d’objets et elle ne peut exister sans une mise en exposition, une mise en tension. Sa première vidéo, Fleurs, réalisé en 1988, était destinée à une diffusion cathodique aléatoire. Cette image fixe qui jouait de la mise au point sur un bouquet de fleurs annonce, la notion de « plan-séquence », devenue fondamentale, dans l’élaboration de ses expositions. Quant à No More Reality, une manifestation d’enfants avec banderoles et slogans, filmée en 1995, elle transforme l’image télévisuelle en « jeu » et la construction en « effet de réel ».
Curieux, ouvert, Philippe Parreno puise dès la fin des années 1990 dans le langage, la narration, la temporalité mais aussi dans le théâtre, les codes télévisuels et cinématographiques pour élaborer une oeuvre qui met en tension ces différents univers. Il met ainsi en scène des figures de la télévision comme Yves Lecoq, Dagmar Bergdoff, mais aussi des ventriloques comme Ronn Lucas, détournant les codes du monde du spectacle afin de flirter avec la mince frontière qui sépare la réalité de la fiction. Nombreux sont aussi les exemples d’oeuvres de cette période qui investissent, parfois littéralement, le champ du cinéma ou de la télévision. Autre composante essentielle : l’absence, la fascination pour les fantômes et les revenants, la disparition et leurs traces.
Snow Dancing est une exposition qui se mue en fête le temps d’une soirée. Cette oeuvre majeure, conçue au Consortium à Dijon en 1995, est réalisée à partir d’un récit pré-éxistant : elle est issue d’un livre, qui est à la fois le scénario et le commentaire de l’événement. Elle invite les visiteurs à découvrir les traces d’une fête révolue ; ces empreintes dessinant à leur une absence, un vide habité d’imaginaire. Ce caractère labile et imaginaire est aussi évoqué par les Speech bubbles (1997), supports de paroles en attente de discours, qui demandent, à leur tour, d’être remplis d’imaginaire. Ce principe d’un corps habité, d’une coquille qui s’incarne, se cristallise, en 1999, autour du projet - No Ghost Just a Shell - mené avec Pierre Huyghe, autour du personnage manga Ann Lee. Ils sollicitent une vingtaine d’artistes à réinventer, sous d’autres formes et selon des histoires différentes, le personnage manga, Annlee, acheté à une agence japonaise. Cette oeuvre leur a, par ailleurs, permis d’imaginer de nouvelles façons d’être et de travailler ensemble. Cette démarche collective est récurrente dans le travail de Philippe Parreno, qui, dès ses débuts, opte pour une esthétique de collaboration.
« C’est une manière d’aller plus vite, d’absorber des idées, des informations. Je ne travaille pas sous vide, les frottements et les résistances peuvent changer la nature d’une oeuvre » affirme-t-il. Il en sera de même avec le projet d’exposition mené en 2003 – Alien Seasons - au Musée d’art moderne de la ville de Paris pour lequel, il collabore avec des scientifiques, comme Jaron Lanier, transformant, l’exposition en espacetemps, en un lieu d’expérimentation, en un monde où la réalité virtuelle se confond avec la vie.
Philippe Parreno pense l’exposition comme un objet, comme un espace-temps, une expérience dont il réévalue, sans cesse, les limites spatiales et temporelles. Il élabore ainsi des modèles d’exposition susceptibles d’offrir de multiples points de vue sur la création : elle tisse des liens entre les différents éléments qui la constituent et reflète une pratique artistique à bien des égards non linéaire. Il intervient, selon ce principe, en 2012 dans l’exposition qui s’est tenue au Philadelphia Museum, Dancing with the bride. Tel un metteur-en-scène, un chef d’orchestre, l’artiste crée une mise en scène inédite pour explorer les liens entre John Cage, Merce Cunningham, Jasper Johns, Robert Rauschenberg et Marcel Duchamp. Cette exposition se situe dans le prolongement de son exposition éponyme à la Serpentine Gallery en 2010 dans laquelle il joue des effets et combinaisons sonores, pour inviter les visiteurs, selon un enchainement précis à se déplacer de salles en salles afin de découvrir ses films. En 2009, l’exposition du Centre Pompidou, était aussi synchronisée sur une boucle temporelle de 10 minutes, transformant la visite en séance cinéma autour du film June 8, 1968. En 2012, sur ce principe, à la Fondation Beyeler, il met en scène deux nouveaux films dans une chorégraphie de sons et d’images qui guide le visiteur à travers l’espace.
La même année, dans les arènes d’Arles, Philippe Parreno et Liam Gillick invitent à suivre pendant quatre jours une exposition faite d’événements hétérogènes. Composée d’installations, de performances, de concerts, de projections et d’autres pièces, cette exposition a été un champ d’intervention inédit. En constante évolution, elle a été une véritable promesse de voyage : Vers la lune en passant par la plage. « Il s’agit d’une exposition sur le travail, la production et la transformation » annoncent Liam Gillick et Philippe Parreno, chefs d’orchestre de ce vaste projet. Ainsi, le temps de la gestation, le temps de production et le temps de l’exposition : cette boucle temporelle qui explore les trois temps de l’oeuvre d’art est pulvérisée. Dés 2007, il fait du temps le principal lieu de son travail, le principal objet de ses expositions. Dans l’exposition de groupe Postman time, Tempo del postino, qu’il dirige et conçoit avec Hans Ulrich Obrist dans le cadre du Manchester international festival, Philipe Parreno élabore une grammaire artistique fondée sur le langage, l’échange, la collaboration et le partage qui joue de l’entremêlement et/ou de la négation de différentes temporalités. Plus de 15 artistes sont invités à collaborer pour jouer de ces déplacements de formes et de sens dont Douglas Gordon, Liam Gillick, Anri Sala, Tino Sehgal et Rirkrit Tiravanija.
Sa proposition pour le Palais de Tokyo se situe dans le prolongement de sa démarche artistique et de ses précédentes expériences. Sa démarche qui fait de l’exposition un objet et du temps une matière prend dans le cadre de sa carte blanche au Palais de Tokyo une ampleur et une importance inédite.
Il a récemment exposé au Garage Center for Contemporary Culture, Moscow (2013) ; Barbican Art Gallery, Londres (2013) ; Fondation Beyeler, Riehen/ Bâle (2012) ; Philadelphia Museum of Art (2012) ; Serpentine Gallery, Londres (2010-2011) ; Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris ; Centre for Curatorial Studies, Bard College, New York (2009 - 2010) ; Irish museum of modern art (2009) Kunsthalle Zürich (2009) et Centre Pompidou.
Notes:
Transcription pour piano à quatre mains de Petrouchka, scènes burlesques en quatre tableaux d'Igor Stravinski, 1911, interprété par Mikhaïl Rudy.