9 janvier 2009 5 09 /01 /janvier /2009 19:31

 

    Les sculptures d'Etienne Bossut à l'Hôtel Biron sont tout aussi voyantes que les sculptures de Jeff Koons à Versailles. Les oeuvres contemporaines lisses et colorées créent une dissonance avec les lieux chargés d'histoire. Là s'arrête la comparaison. Alors que Jeff Koons se confronte à l'art baroque du grand siècle, Bossut se confronte à Rodin qui appartient déjà à la modernité. Koons joue avec les icônes de la pop-culture, apportant dérision et sensualité, Bossut décline des formes composées d'objets manufacturés qui en deviennent presque abstraites.



Laocoon d'Etienne Bossut au musée Rodin


    Les trois sculptures d'Etienne Bossut (Laocoon, Grand Laocoon et Laocoon translucide) sont faites d'un encastrement de blocs de couleurs, comme pourrait en construire un enfant obsessionnel jouant avec des Légo géants. Les blocs sont des moulages en résine du fauteuil Orgone dessiné par l'australien Marc Newson. Les sièges multicolores forment un cercle ouvert hérissée de pointes, ressemblant à une carapace de crustacé fabuleux de l'ère plastique.



Laocoon d'Etienne Bossut au musée Rodin


   Le premier Laocoon multicolore est dans le hall de la Chapelle, à l'entrée du musée.



Laocoon translucide d'Etienne Bossut, au musée Rodin

  
Le  Laocoon translucide est exposé au pied de l'escalier de l'hôtel Biron. Deux bronzes de Rodin, un portrait de Jules Desbois (1902) et un de Maurice Haquette, deux barbus oubliés, l'encadrent.

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Laocoon translucide d'Etienne Bossut, au musée Rodin


   Les circonvolutions de la carapace annelée répondent à celle des marches de  l'escalier.



Laocoon d'Etienne Bossut, au musée Rodin

    Le troisième Laocoon est au premier étage, seul dans une pièce. C'est une spirale plus compliquée que les autres sculptures. Les anneaux colorés ont l'air à l'étroit dans cette pièce.


Laocoon d'Etienne Bossut au musée Rodin


    Les Laocoon d'Etienne Bossut sont un écho à l'exposition "La passion à l’oeuvre, Rodin et Freud collectionneurs" qui présente des pièces de la collection d'antiques des deux hommes. C'est surtout une déclinaison du Laocoon, célèbre marbre antique conservé au musée du Vatican dont on voit une copie dans les jardins de Versailles.1



Laocoon et ses fils
groupe sculpté de Jean-Baptiste Tuby, Philibert Vigier
et Jean Rousselet d'après l'antique, parc de Versailles


    Pline l'Ancien attribuait Laocoon à trois sculpteurs rhodiens, Hagèsandros, Polydôros et Athanadôros. Redécouvert en 1506 dans les ruines du palais de Titus à Rome, le groupe de marbre représente Laocoon défendant ses fils de l'étreinte mortel des serpents, juste avant qu'ils ne succombent. Les personnages livrés à la terreur et au désespoir sont en mouvement, les corps se tordent et cherchent à s'échapper. La théâtralisation baroque magnifie le sacrifice sublime du père et la souffrance des enfants.



Laocoon d'Etienne Bossut au musée Rodin


   A côté des sculptures torturées de Rodin et de la sculpture antique d'une grande intensité émotionnelle, les trois Laocoon d'Etienne Bossut sont bien sages. Il n'y a ici ni effroi, ni sublime, ni fureur, sentiments qui appartiennent à un autre temps et à une autre sensibilité. Il ne reste que l'idée, la forme et le rythme. Les courbes renvoient au combat mortel de Laocoon étouffé par les anneaux du monstrueux reptile. Les sièges en plastique semblent s'avaler les uns les autres comme la gueule du serpent avale sa proie mais il n'y a pas de fin à cette dévoration.  On voit le monstre mais on ne voit pas la proie dans ce Laocoon épuré. Seules les couleurs des sièges apportent une fantaisie très calibrée à la sculpture.


   Le sacrifice de Laocoon est raconté par Virgile dans l'Enéide: pendant la Guerre de Troie les Grecs laissent un cheval de bois sur la grève, avant de lever le siège. Les Troyens, y voyant une offrande à Athéna, veulent faire entrer le cheval dans la ville. Seul Laocoon, un prêtre d'Apollon, s'y oppose en disant:

« Je crains les Grecs, même lorsqu'ils apportent des présents  »1



  Un serpent mord Laocoon, marbre hellénistique


    Deux serpent sortent alors de la mer et se jettent sur les deux fils de Laocoon, Antiphate et Tymbræus, pour les étouffer. Ils s'attaquent ensuite au père  qui tente de sauver ses enfants. Les Troyens comprennent alors qu'Athéna se venge de Laocoon, le blasphémateur qui a osé refuser une offrande qui lui est dédiée. Sans plus tarder, les Troyens traînent le cheval dans la cité, derrière les murailles jusqu'ici imprenables. Laocoon, comme Cassandre, avait raison; le cheval de Troie n'était qu'une ruse des Grecs. On connait la suite de l'histoire!



Laocoon d'Etienne Bossut au musée Rodin


    Après bien des polémiques et un succès public, Jeff Koons et ses bibelots géants ont quitté  les appartements royaux du château de Versailles. Etienne Bossut est au musée Rodin mais il n'y a pas de scandale. Curieusement Koons et Laocoon(s) riment! Bizarre.




Laocoon(s) d'Etienne Bossut au Musée Rodin
77, rue de Varenne  75007 Paris
01 44 18 61 10
Du Mercredi 15 Octobre 2008 au Dimanche 22 Fevrier 2009
Tlj sauf lundi de 9h30 à 16h45.

Liens sur ce blog:
Etienne Bossut dans l'exposition Tokyo-Fontainebleau
Jeff Koons à Versailles
Palagret
art contemporain et patrimoine
janvier 2009

Notes:
1- Ecole de Pergame, école de sculpture hellénistique célèbre au II av. J-C.

2- « Timeo Danaos, et dona ferentes » in  l'Enéide de Virgile, épopée latine – 19 av J.C.
"Voici que, de Ténédos, par les eaux tranquilles et profondes, - je le raconte avec horreur, deux serpents aux énormes anneaux s'allongent pesamment sur la mer et de front s'avancent sur le rivage. Leur poitrine se dresse au milieu des flots et leurs crêtes couleur de sang dominent les vagues. Le reste de leurs corps glissait lentement sur la surface de l'eau et leur énorme croupe traînait ses replis tortueux. Là où ils passent, la mer écume et bruit. Ils touchaient déjà la terre, et, les yeux ardents injectés de sang et de feu, ils léchaient de leur langue vibrante leur gueule sifflante. A les voir le sang se retire de nos veines ; nous nous enfuyons. Mais eux, sachant où aller, se dirigent sur Laocoon ; et d'abord les deux serpents entourent et enlacent les corps de ses deux jeunes enfants en se repaissant de leurs malheureux membres. Puis, comme le père se porte à leur secours les armes à la main, ils le saisissent et le ligotent de leurs énormes noeuds. Ils ont déjà enroulé deux fois leur croupe écailleuse autour de sa ceinture, deux fois autour de son cou, et ils le surmontent de toute leur tête et de leur haute encolure. Lui, il s'efforce avec ses mains d'écarter leurs replis ; ses bandelettes sont arrosées de bave et de noir venin ; et il pousse vers le ciel d'horribles clameurs. Ainsi mugit le taureau blessé quand il s'échappe de l'autel et secoue de sa nuque la hache mal assurée. Mais les deux dragons fuient en glissant vers les hauteurs où sont les temples ; ils gagnent le sanctuaire de la cruelle Athéna et se cachent aux pieds de la déesse sous l'orbe de son bouclier."
Virgile, Énéide, II, v. 199-227


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