16 mars 2009 1 16 /03 /mars /2009 00:09

    Arrêtez vous, il n'y a rien à voir! Neuf salles blanches, aux cimaises strictement vides de toute oeuvre d'art exposent l'absence. C'est le rien qui est l'oeuvre. Depuis Yves Klein en 1958, plusieurs artistes conceptuels se sont livrés à ce jeu provocant.



"La spécialisation de la sensibilité à l'état matière première
en sensibilité picturale stabilisée" d'Yves Klein
Vides. Une rétrospective, à Beaubourg

    Ce geste radical pose plein de questions très subtiles expliquées dans  le dossier de presse 1. Cependant, il y a une contradiction entre les oeuvres exposées et la perception du visiteur. A Versailles, certaines sculptures de Jeff Koons étaient protégées par des vitrines. Le décor rococo du château reflété sur le verre était plus visible que les sculptures pop de l'artiste américain. Ici à Beaubourg, aucun reflet gênant ne s'interpose entre l'absence d'oeuvre et le visiteur. Il peut tout à loisir méditer sur le minimalisme extrème, l'art conceptuel, l'interrogation de l'espace, la notion de musée, l'épuisement de l'art contemporain etc ...



Vides. Une rétrospective, à Beaubourg



   Pour ceux qui sont peu portés à la méditation, l'expérience est un peu courte. Plutôt que de faire face au néant, l'oeil du visiteur est attiré par le presque rien.

     Blaise Pascal écrit dans "Les Pensées": "La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement et c'est pourtant la plus grande de nos misères."  Ici, il n'y a pas le moindre divertissement. Le vide, comme le silence prolongé, qui nous renvoie à "nos misères" est difficile à supporter alors le regard s'accroche à n'importe quoi, l'esprit transforme ce vide en plein et cette absence en présence. 



Vides. Une rétrospective, à Beaubourg


     Le vide, les vides, pour être parfaits, devraient être absolus ors ils ne le sont pas.



Vides. Une rétrospective, à Beaubourg
Fenêtre bleue à la tombée du jour



    De nombreux éléments, d'autant plus visibles qu'il n'y a pas de tableaux pour capter le regard, interfèrent  avec une contemplation sereine. Les néons, les tubulures du plafond qu'on aperçoit par les interstices, le vert des panneaux de secours, le bleu des fenêtres ou le rouge des seaux à incendie comblent l'absence de couleurs et de formes.



Vides. Une rétrospective, à Beaubourg
Panneau vert d'issue de secours

    S'il n'y a rien d'accroché au mur, il y a toujours les murs. Comme un prisonnier enfermé dans une cellule au mur nu, le visiteur explore les surfaces aux minuscules variations. L'esprit s'évade.



Un espace vide dans le centre Pompidou, 2009, Stanley Brouwn
Tag noir d'Irmar



    Pour répondre à la provocation des artistes et des commissaires de l'exposition, un visiteur a griffonné au marker un petit tag dans la salle de Stanley Brouwn. Le mur blanc n'est plus immaculé, un petit carré noir signé IRMAR le macule. Le graffeur aura peut-être un jour les honneurs d'un musée ou d'une galerie pour une exposition consacrée au trop plein.




Un espace vide dans le centre Pompidou, 2009, Stanley Brouwn
Tag noir d'Irmar


     Ce tag est un défi, est-ce un délit? Sans doute, mais inutile de dramatiser, l'exposition n'est qu'une reconstitution d'interventions éphémères. La vraie oeuvre est le concept et un graffiti ne peut souiller un concept.



Vides. Une rétrospective, à Beaubourg




      Une salle vide, c'est intéressant, neuf c'est ennuyeux. L'art conceptuel, où seul le texte soutient l'oeuvre, s'apprécie aussi bien en lisant le gros catalogue « Vides. Une rétrospective » confortablement installé dans un fauteuil.



Le musée d'art moderne à Beaubourg



     Après avoir lentement admiré les neufs salles vides et lu les cartels explicatifs, souvent drôles avec leur texte emphatique, le visiteur peut se diriger vers la Donation Cordier qui expose des pièces magnifiques.



Margelles de puits peuls, donation Daniel Cordier

Liste des pièces vides exposées:
1- Yves Klein.
La spécialisation de la sensibilité à l'état matière première en sensibilité picturale stabilisée, Paris 1958
2- Art & Language. The air-conditionning show, 1967
3- Robert Barry.
Some places to which we can come, and for a while "be free to think about what we are going to do." (Marcuse), Turin 1970
4- Robert Irwin. Experimental situation, Los Angeles 1970
5- Laurie Parsons. Sans titre, New-York 1990
6- Bethan Huws. Haus esters piece, Krefeld 1993
7- Maria Eichhorn. Money at the Kunsthalle, Berne 2001
8- Roman Ondak. More silent than ever, Paris 2006
9- Sanley Brouwn. Un espace vide dans le centre Pompidou, 2009



Liens:
Initiation rooms de Tania Mouraud
Palagret
art contemporain

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1 - Dossier de presse:
Manifestation exceptionnelle, « Vides » est une rétrospective des expositions vides depuis celle d'Yves Klein en 1958. Dans une dizaine de salles du Musée national d'art moderne, elle rassemble, de manière inédite, des expositions qui n'ont rigoureusement rien montré, laissant vide l'espace pour lequel elles étaient pensées.

L'idée d'exposer le vide est récurrente dans l'histoire de l'art de ces cinquante dernières années, au point d'être presque devenue un cliché dans la pratique artistique contemporaine. Depuis l'exposition d'Yves Klein La spécialisation de la sensibilité à l'état matière première en sensibilité picturale stabilisée à la galerie Iris Clert, à Paris, en 1958, les expositions entièrement vides affirment différentes conceptions du vide.

S'il est pour Yves Klein un moyen de signaler l'état sensible, il représente en revanche l'apogée de l'art conceptuel et minimal pour Robert Barry avec Some places to which we can come, and for a while "be free to think about what we are going to do." (Marcuse), [« Des lieux où nous pouvons venir, et pour un moment, ' être libre de penser à ce que nous allons faire '. (Marcuse) »], œuvre initiée en 1970. Il peut aussi résulter du désir de brouiller la compréhension des espaces d'expositions, comme dans l'œuvre The Air-Conditioning Show d'Art & Language (1966-1967), ou de vider une institution pour modifier notre expérience comme dans l'oeuvre de Stanley Brouwn.

Il traduit également la volonté de faire l'expérience des qualités d'un lieu d'exposition, comme pour Robert Irwin et son exposition réalisée à la ACE Gallery en 1970, ou pour Maria Nordman lors de son exposition à Krefeld en 1984. Le vide représente aussi une forme de radicalité, comme celui créé par Laurie Parsons en 1990 à la galerie Lorence-Monk, qui annonce son renoncement à toute pratique artistique. Pour Bethan Huws et son œuvre Haus Esters Piece (1993), le vide permet de célébrer l'architecture du musée, signifiant que l'art y est déjà présent et qu'il n'est pas nécessaire d'y ajouter des œuvres d'art. Le vide revêt presque le sens d'une revendication économique pour Maria Eichhorn qui, laissant son exposition vide à la Kunsthalle Bern en 2001, permet d'en consacrer le budget à la rénovation du bâtiment. Avec More Silent than Ever (2006), Roman Ondak, quant à lui, laisse croire au spectateur qu'il y a plus que ce qui est laissé à voir.

Commissaires / organisateurs:
Laurent Le Bon, John Armleder, Mathieu Copeland, Gustav Metzger, Mai-Thu Perret, Clive Phillpot

Catalogue 39€


 
« Vides, une rétrospective »
du 24 février au 24 mars 2009
Musée national d’art moderne - Centre Pompidou -
Place Georges-Pompidou
01 44 78 12 33

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