21 septembre 2008 7 21 /09 /septembre /2008 23:30
   
    Une image vaut mieux que mille mots, c'est ce que prouve Chris Jordan en réalisant ses immenses photo-montages de la série « Running the Numbers, un auto-portrait américain ». Les photos illustrent des statistiques peu compréhensibles dans leur sècheresse. En transformant les nombres en objets, il fait le portrait de la société américaine, de sa violence et de sa course effrénée à la surconsommation.


Barbie Dolls, 2008, photographie de Chris Jordan. Détail


     Ainsi dans « Barbie Dolls » il illustre cette effarante statistique: chaque mois 32000 opérations de chirurgie esthétique ( augmentation des seins) ont lieu aux Etats-Unis. C'est même un cadeau de fin d'études pour les adolescentes. Cris Jordan réunit donc 32000 poupées Barbies qu'il dispose en étoile. De loin on ne voit que le torse d'une femme, en s'approchant on distingue les poupées, image stéréotypée de la jeune fille américaine, duplicable à l'infini.

Barbie Dolls, 2008, photographie de Chris Jordan


     Prison Uniforms montre 2,3 millions d'uniformes pliés correspondant au nombre d'américains emprisonnés en 2005. La photo comprend six panneaux identiques de 3x7 mètres. Vus de loin, les six panneaux sont abstraits, de près ils prennent sens. Les millions, billions ou trillons ne signifient pas grand chose pour nous. Une fois transformées en une accumulation d'objets, les statistiques sont frappantes. La taille monumentale des oeuvres appuie le propos.


Prison uniforms 2007
photographie de Chris Jordan
six panneaux identiques de 3 x 7 mètres



Prison uniforms 2007, détail
photographie de Chris Jordan

    Chaque image est faite d'une accumulation d'objets qui nous aide à comprendre la monstruosité des chiffres. Pour dénoncer le gâchis engendré par les bouteilles en plastique, deux millions toutes les 5 minutes aux USA, Jordan compose une image avec des millions de bouteilles.
   


Plastic Bottles, 2007
18,2 x 36, 5 mètres
photographie de Chris Jordan

     Avec des paquets de cigarettes, des bouteilles et des tasses en plastique, des batteries, des téléphones portables etc, Chris Jordan dénonce notre mode de vie suicidaire. A l'échelle de l'individu, le gaspillage n'est pas grand chose. Quand tous ces actes individuels s'additionnent, c'est une catastrophe. Dès que les éboueurs sont en grève dans nos villes, les rues se transforment en décharge malodorantes. Voir la "tragedia rifiuti", la tragédie des déchets à Naples, où des murs d'ordures bordaient les rues au début de l'année! Une tragédie qui pourrait bien conduire au monde décrit dans le film Wall-E où seul un robot est resté sur la  terre dévastée pour compacter et empiler des monceaux d'ordures.

Plastic Bottles, détail, 2007
photographie de Chris Jordan


    En 2005, Jordan commence la série Intolerable Beauty au titre très parlant, "Beauté Intolérable". Un titre qui renvoie au film de Sam Mendes "American Beauty" (1999): dans un cadre propret et lisse la famille américaine s'effondre sur elle même. Le couple parfait implose tandis que les adolescents déboussolés contemplent la vidéo d'un sac plastique. "La chose la plus belle que j'ai jamais filmé", dit le garçon. Un déchet indestructible
virevoltant dans le vent au milieu des feuilles mortes.


Plastic bags, détail
photographie de Chris Jordan


    Le sous-tire de la série de Chris Jordan est
"portrait de la consommation de masse américaine". Il s'agit des portraits des américains car photographier les traces que laissent l'homme revient à le décrire. Parcourant les décharges, les usines et les sites de recyclage avec une chambre photographique, Chris Jordan enregistre l'amoncellement de tous ces produits jetables dont nous nous débarrassons sans y penser. « Il y a un contraste entre la beauté des images et le grotesque sous-jacent des sujets. C'est quelque chose que j'utilise intentionnellement. Si les photos étaient laides, personne ne s'y intéresserait » dit Jordan. 1

    Les voitures compactées, les fûts rouillés et les détritus empilés sont très photogéniques.  La poétique des ordures est fascinante mais, comme la poétique des ruines, elle parle de destruction et de civilisations mortelles. La séduction picturale  des déchets ne masque pas la triste réalité du désastre écologique qui nous menace.


Plastic bags, photographie de Chris Jordan


    "L'étrange mélange de la beauté et de l'horreur est une puissante métaphore de notre  consumérisme. De loin, le consumérisme peut être très attrayant, toutes ces belles voitures brillantes, ces maisons, ces écrans plasma etc .... Mais de près, nos familles en crise, nos déchets, la dégradation de l'environnement, les métaux toxiques dans le lait des femmes eskimos, les malformations chez les enfants dont les mères assemblent les produits électroniques en Chine, tout cela nous fait voir que notre mode de vie n'est pas si joli.. J'essaie de créer cet effet dans mes photos, de loin c'est quelque chose et de près c'est différent." 2


shipping containers, 2007
18,5 x 36,6 mètres


shipping containers, 2007
détail



        Chris Jordan était avocat d'affaire et photographe amateur. A l'âge de 38 ans, après dix ans de carrière, il a tout abandonné pour devenir photographe. Sa démarche est militante, politique et artistique. Il reconnait l'influence du photographe Andreas Gursky avec ses grands formats et la répétition des motifs. Ses premières photos étaient documentaires, réalisées avec un appareil photo analogique. Les dernières photographies  de la série « Running the Numbers" utilisent beaucoup la retouche numérique.
 
    On lui a reproché d'arranger les objets. Chris Jordan répond que "
la photographie aujourd'hui est plus proche de la peinture  que la photo traditionnelle que les gens croyaient représenter la réalité. C'est un problème intéressant parce qu'en fait la photographie n'a jamais représenté la réalité; elle a toujours été une illusion complexe bâtie sur des préjugés à partir d'un point de vue. Mais l'illusion d'objectivité était plus convaincante. Avec l'arrivée de la manipulation numérique invisible, maintenant même les photos les brutes peuvent être suspectes." 2



Open drums, Seattle 2003
photographie de Chris Jordan

   Ses images deviennent conceptuelles et s'éloignent de la photographie brute. Il copie et colle la même photo de nombreuses fois pour arriver aux nombres vertigineux des statistiques. Ainsi Plastic cups montre un million de tasses plastiques, le nombre utilisé sur les lignes aériennes intérieures en six heures. Il crée ainsi des images abstraites ou pointillistes vues de loin et très concrètes vues de près. Photographie objective ou travail conceptuel, le but reste le même, tirez la sonnette d'alarme.



Plastic Cups, 2008
détail


     Chris Jordan donne de nombreuses conférences pour expliquer son travail et éveiller les consommateurs à la conscience écologique. « Je veux que les gens réalisent qu'ils comptent. Quand vous vous approchez de l'image vous pouvez voir que l'ensemble n'est fait que d'une multitude d'individus. »




Conférence de Chris Jordan



    Chris Jordan est sélectionné pour le prix Pictet, un concours international de photographie de developpement durable.  Le prix sera décerné en Octobre 2008 au Palais de Tokyo à Paris.



Mise à jour du 31.10.2008
Le prix Pictet a été remporté par Benoît Aquin,un photographe de Montréal pour la série intitulée le «Dust Bowl» chinois, un reportage sur la désertification en Chine. «Mes images montrent la désertification en Chine à cause de mauvaises pratiques agricoles, a expliqué hier à La Presse Benoît Aquin. Elle montrent la tragédie engendrée par le manque d'eau.»





Catherine-Alice Palagret
septembre 2008
photographie

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