16 août 2008
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Une installation monumentale ludique ou angoissante?
La halle de La Villette est envahie d'énormes ballons roses à petits pois noirs. Flottant au-dessus des têtes ou ancrés au sol, les ballons forment une environnement onirique et joyeux. Comme dans une volière, les pois roses se balancent doucement au passage des visiteurs, bercés par la voix de Yayoi Kusama, la créatrice de l'installation « Dots Obsession », l'obsession des pois.
"Dots obsession", installation de Yayoi Kusama
dans la grande halle de La Villette
La chanson de Yayoi Kusama, « Une accro du Manhattan suicide », n'a rien de joyeux cependant:
"Avale des anti-dépresseurs, ça passera
Arrache la porte des hallucinations
Plongé dans l'agonie des fleurs, le présent ne finit jamais ..."1
Arrache la porte des hallucinations
Plongé dans l'agonie des fleurs, le présent ne finit jamais ..."1
"Dots obsession", installation de Yayoi Kusama
dans la grande halle de La Villette
dans la grande halle de La Villette
L' installation « Dots Obsession », est à première vue ludique et euphorique avec ses boules rose bonbon. Elle plait aux petits enfants qui la confondent avec une salle de jeu et ne peuvent s'empêcher de toucher aux fragiles ballons. « Dots Obsession » est pourtant née des obsessions enfantines de Yayoi Kusama pour les pois et de leur prolifération menaçante.
L'artiste japonaise raconte qu'un jour, après avoir observé le motif d'une nappe à pois, elle a eu une hallucination: " Quand j'ai levé la tête, j'ai vu le même motif couvrant le plafond, les fenêtres et les murs et finalement toute le pièce, mon corps et l'univers. J'ai eu l'impression de commencer à disparaître, de retourner à l'infinité du temps sans fin et à l'espace absolu et d'être réduite au néant " 2.
En 1960, Kusama écrit dans son « Manifeste de l'oblitération »:
L'artiste japonaise raconte qu'un jour, après avoir observé le motif d'une nappe à pois, elle a eu une hallucination: " Quand j'ai levé la tête, j'ai vu le même motif couvrant le plafond, les fenêtres et les murs et finalement toute le pièce, mon corps et l'univers. J'ai eu l'impression de commencer à disparaître, de retourner à l'infinité du temps sans fin et à l'espace absolu et d'être réduite au néant " 2.
En 1960, Kusama écrit dans son « Manifeste de l'oblitération »:
"Ma vie est un poids perdu parmi des milliers d'autres pois"
L'art lui a permis de plus ou moins dompter son angoisse en exploitant ses hallucinations.
"Dots obsession", installation de Yayoi Kusama
dans la grande halle de La Villette
dans la grande halle de La Villette
Depuis plus de dix ans, la vieille dame (née en 1929) vit, volontairement, dans un établissement psychiatrique privé à Tokyo. Elle se rend régulièrement à son atelier, situé non loin de l'hôpital pour travailler, entourée d'une secrétaire et de plusieurs assistants. Elle en sort pour superviser ses expositions et donner des interviews.
Connaissant les difficultés mentales de l'artiste, les pois roses ne semblent plus si aériens ni décoratifs. Ils créent un vertige, un effet d'écrasement et renvoie à la folie et à la souffrance de l'auteure, prisonnière de son obsession. On peut aussi ignorer la folie de l'artiste et ne voir là qu'une oeuvre conceptuelle faite de légers ballons, basée sur la notion de répétition et de multiplication de formes et de motifs. D'autres artistes comme Daniel Buren, Bridget Riley ou Damien Hirst travaillent sur des formes stictement codifiées sans pour autant être malades.
Connaissant les difficultés mentales de l'artiste, les pois roses ne semblent plus si aériens ni décoratifs. Ils créent un vertige, un effet d'écrasement et renvoie à la folie et à la souffrance de l'auteure, prisonnière de son obsession. On peut aussi ignorer la folie de l'artiste et ne voir là qu'une oeuvre conceptuelle faite de légers ballons, basée sur la notion de répétition et de multiplication de formes et de motifs. D'autres artistes comme Daniel Buren, Bridget Riley ou Damien Hirst travaillent sur des formes stictement codifiées sans pour autant être malades.
"Dots obsession", installation de Yayoi Kusama
dans la grande halle de La Villette
dans la grande halle de La Villette
Comme des igloos rose bonbon, deux bulles peuvent se visiter. La première ne contient qu'un petit pois lumineux, entourée de pois roses et noires imprimés sur la doublure de la tente.
Visite de la bulle aux miroirs
"Dots obsession", installation de Yayoi Kusama
dans la grande halle de La Villette
"Dots obsession", installation de Yayoi Kusama
dans la grande halle de La Villette
Le deuxième pois-igloo est tapissé de miroirs sur lesquels se reflètent de nombreux lampions suspendus. Comme dans un labyrinthe de glaces, les images se multiplient, se répercutent et se brouillent. Nous n'avons plus de repères.
Intérieur de la bulle aux miroirs
"Dots obsession", installation de Yayoi Kusama
dans la grande halle de La Villette
"Dots obsession", installation de Yayoi Kusama
dans la grande halle de La Villette
Un troisième pois d'environ deux mètres est une boîte optique. En s'approchant de l'ouverture, on aperçoit une multitude de bulles transparentes qui se reflètent à l'infini et au fond le visage du visiteur, ou son appareil photo!
La boîte optique
"Dots obsession", installation de Yayoi Kusama
dans la grande halle de La Villette
"Dots obsession", installation de Yayoi Kusama
dans la grande halle de La Villette
Intérieur de la boîte optique
"Dots obsession", installation de Yayoi Kusama
dans la grande halle de La Villette
"Dots obsession", installation de Yayoi Kusama
dans la grande halle de La Villette
Dots Obsession est une oeuvre que l'on découvre avec son corps. Comme pour beaucoup d'installations d'art contemporain, les deux plateaux de Buren ou Promenade de Richard Serra, il faut circuler entre les ballons roses pour apprécier Dots Obsession.
De 1957 à 1972, Yayoi Kusama travaille à New-York où elle fréquente Jasper Johns, Claes Oldenurg, Joseph Cornell qui deviendra un ami, Andy Warhol et d'autres artistes de l'avant-garde. Son oeuvre est à la croisée du pop art, du minimalisme et de l'art environnemental. Peintures, sculptures, photographies, happenings, installations foisonnent et elle devient célèbre.
Dans les années soixante, ses happenings font scandale: devant le New York Stock Exchange à Wall Street, quatre danseurs nus tournoient au son des tambours tandis que Kusama, accompagnée de son avocat, bombe les corps nus de pois bleus. La police interrompt la performance. Une seconde a lieu devant la statue de la Liberté; la troisième devant la statue d'Alice à Central Park où Kusama déclare: "Je suis la moderne Alice au pays des merveilles."
Happening de Yayoi Kusama
sur la 14e Rue, à New-Yotrk,1966
De plus en plus connue dans les années soixante, Kusama recherche avidement la publicité jusqu'à être partout dans les média, ce qui est paradoxal pour quelqu'un qui cherche à s'oblitérer. Quelques années après, moins à la mode, fragilisée, elle retourne au Japon. A son retour à Tokyo, l'artiste détruit plus de deux milles de ses oeuvres avant d'entrer à l'hôpital psychiatrique en 1977.
Yayoi Kusama interprétant sa chanson
"Une accro du Manhattan suicide"
"Une accro du Manhattan suicide"
Plusieurs video sont projetées à la Halle de la Villette, non à l'intérieur d'une bulle, mais dans une banale salle à coté. Kusama's self obliteration (1967) est une succession de scènes étranges et lentes. Kusama décore un cheval, un chat ou un arbre de pastilles blanches, elle se promène lentement à cheval vêtue d'une cape parsemée de pois phosphorescents puis elle entre dans l'eau et pose des pois blancs sur la surface à coté des nénuphars etc... . Dans cet univers féérique, la nature se plie à l'obsession de l'artiste. La hantise de Yayoi Kusama tend à anéantir le monde sous les pois.
"Dots obsession", installation de Yayoi Kusama
dans la grande halle de La Villette
dans la grande halle de La Villette
Comme Louise Bourgeois ou Tracy Emin deux femmes stars de l'art contemporain, Yayoi Kusama a su utiliser les traumatismes de l'enfance pour créer une oeuvre radicale et multiple.
Dots obsession. Halle de La Villette. Paris
Du 11 juillet au 17 août 2008
Du 11 juillet au 17 août 2008
Liens sur ce blog:
Textes et photos:
Catherine-Alice Palagret
août 2008
1- in dossier de presse
2- in Art Forum 1997. Dot dot dot, par Andrew Solomon
2- in Art Forum 1997. Dot dot dot, par Andrew Solomon